As & Aurélien. 2.

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28 septembre

Soir


Je traîne des pieds pour tout ranger. Maxine est partie, fermant à clef derrière elle pour me laisser tranquille jusqu'à ce que je quitte les lieux. J'ai entendu frapper plus tôt, je n'ai pas répondu. Il y a toujours ceux qui insistent, qui veulent prendre rendez-vous au dernier moment, voire qui réclame un tatouage là maintenant, puisque de toute façon, je n'ai plus de clients.

Je souffle. Je m'y reprends à trois fois pour ramasser toutes mes affaires, oubliant toujours quelque chose. Je souffle encore, il pleut. J'éteins les lumières, rouvre la porte et m'apprête à sortir. Mais mes pieds se prennent dans quelque chose, quelqu'un, mon cœur vomit d'émotions. Assis sur le perron, à peine protégé de la pluie, recroquevillé sur lui-même, il déplie son petit corps dès qu'il me voit. Il ouvre la bouche, la referme, mord sa lèvre.

Je voudrais lui dire quelque chose aussi mais je m'en empêche. Je lui en veux, et je n'ai pas à lui en vouloir. Je voudrais lui reprocher de ne pas être venu, mais pas d'un point de vue professionnel. Je ne lui en veux pas de ne pas avoir honoré un rendez-vous, je lui en veux de n'être pas venu me voir. Alors que je cherche mes mots, au moins un, toute mon amertume s'efface.

« J'suis désolé, il souffle entre deux larmes. »

Son visage ruissèle. Ses yeux se noient si fort qu'il n'arrive plus à les ouvrir. Son expression se tord et la douleur transparaît.

« C'était trop, je ne pouvais pas. »

Je n'hésite pas longtemps, avant de fondre sur lui et de le prendre dans mes bras. Je n'ai pas à attendre avant que les siens ne se serrent autour de moi. Il coule dans mon étreinte, minuscule contre mon torse.

« Parle-moi, je murmure.

_ J'étais prêt, je suis venu jusqu'à la porte. Et ma peur a pris le dessus, je me suis enfuit. Pourtant, je voulais vraiment... Pardon de n'être pas venu.

_ Ce n'est rien, je mens. Tu n'es obligé à rien. »

Je m'éloigne ou du moins j'essaye, mais il me tient si fort que je ne peux rompre l'étreinte. J'avise son sac au sol, me penche pour le ramasser.

« Je te paye un verre ? je propose. Ça va te faire du bien. »

Il y a eu une, deux, trois pintes de bière chacun. Son nez rosit mais il reste lucide. Sa langue se délit, il me parle, il me raconte. Aurélien, dix-huit ans, petite fée clochette que le vent a poussé un peu trop loin par la fenêtre. Il me raconte la drogue, l'enfer, les services sociaux et la vie en foyer. Il me raconte la disparition de son père, le suicide de sa mère. Il me raconte la vie en famille d'accueil, l'enfer encore. La douleur, la haine des autres mais surtout de soi.

Il me raconte les fleurs, sa passion, ses études, la place qu'il a trouvé dans une boutique FlowerBoy en ville. La vie en foyer de jeunes travailleurs pour l'instant. Il m'avoue le besoin de guérir, de devenir quelqu'un qu'il pourrait supporter. Je l'écoute, je l'admire. Je lui prends la main au milieu de son récit et je ne la lâche plus. Sa tête, sur le dossier de la banquette, se penche de plus en plus vers moi. Je sais où on va, sans encore savoir à quoi va ressembler le voyage.

Sa joue est presque contre la mienne quand il murmure, son souffle sur mes lèvres :

_ Maintenant, à toi de me dire la vérité.

_ A propos de quoi ? je souffle, hypnotisé de sa proximité.

_ Pourquoi Narnia ? »

Je pouffe en en profitant pour me rapprocher encore un peu plus, à tel point que je n'ai qu'à murmure pour qu'il m'entende.

Premières fois [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant