Chap 3 : Croix de Bois, Croix de Fer

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Quand Nathanaël ouvrit ses yeux, un matin de dimanche, il fut aveuglé par la lumière, et enfouit son petit museau dans la cascade de cheveux blancs de son tuteur. Depuis l'incident avec ses ailes, il n'avait plus aucun contact avec le monde extérieur, son seul contact vivant était Endricksen et une autre petite monstre, Shein. Il dormait toujours avec l'Ange, et passait ses journées dans sa tour, loin des autres enfants, des autres adultes. Il ne vivait que par Endricksen et Shein, qui, de part sa formation extrêmement différente de la sienne, ne venait pas le voir souvent. Shein était la future Oracle, plus connue sous le nom de Pythie. Elle était tout aussi crainte des autres, pour sa peau bleutée, son unique œil violet au milieu du visage, ses longues oreilles tombantes et ses cheveux qui avaient la sale manie de se transformer en boas. Elle était gentille avec Nathanaël, ils étaient bons amis, mais se voyaient peu, car une Oracle ne doit pas côtoyer de mâles, et doit consacrer sa vie entière aux Prophéties et à son Temple, centre de recueil pour toutes les vierges perdues, et les êtres blessés du Paradis pouvaient venir se glisser dans ses bains romains, dont l'eau avait de grands pouvoirs thérapeutiques. Ils ne se voyaient donc que lorsque Endricksen venait aux bains pour soulager ses rhumatismes. Ils passaient alors quelques minutes à jouer et rire, et Nathanaël se sentait toujours plus léger quand il quittait le temple de la Pythie. Même si la mère de son amie, l'actuelle Oracle, ne voyait pas se garçonnet d'un très bon œil, mais dès qu'elle essayait de le coincer pour l'interroger, elle se retrouvait face à des crocs abîmés par le temps, dont certains étaient en or ou en diamant, qui grognaient avec férocité. Endricksen se méfiait toujours de cette femme qui méprisait les hommes, et surtout lui. Il ne laisserait jamais cette sorcière approcher son pupille. Sa fille, passe encore, il voyait bien qu'elle faisait du bien à son petit Nath, mais sa mère lui hérissait le poil.

Ce dimanche matin, Nathanaël savait qu'Endricksen s'autorisait une grasse matinée, alors il profita de rester au chaud contre lui, trouvant sa bedaine parfaite pour un coussin moelleux. Roulé en boule sur son ventre, il ronronnait adorablement, son pouce à la bouche et l'autre main refermée sur son doudou, gardant ses petits yeux fermés alors que les ronflements de son tuteur lui faisaient une berceuse rauque. Leur repos fut de courte durée, car la lourde porte d'entrée se fit marteler d'une main stricte. Endricksen grogna en se réveillant, et souffla fortement en se redressant, posant Nathanaël, qui c'était aussi réveillé, sur son oreiller chaud, lui faisant signe de rester ici. Sachant que ce ne serait sûrement pas un élève, et n'aillant plus rien à prouver à personne, il resta en pyjama ( un simple caleçon qui avait bien vécu ) et ouvrit la porte, se massant les yeux d'un air épuisé et ronchon.

« Non mais vous savez quel jour on est... ? » râla-t-il

en ouvrant difficilement ses yeux clairs, sensibles à la lumière. Il vit Metatron, qui était devant lui dans une posture hautaine, les lèvres pincées. Metatron était le Juge Suprême du Paradis, un Ange de haut rang, qui se croyait plus fort que tout le monde. Porte Parole de Dieu et plus haut représentant Angélique, il était juste au dessus d'Endricksen dans la hiérarchie. Il était plutôt grand, mais moins que son aîné, d'une minceur gracieuse, une peau blanchâtre, des cheveux d'un noir de jais, des yeux doucement bridés d'un jaune or époustouflant, et un caractère de merde.
Il méprisait tout le monde, ne pensait digne de lui personne, et était d'une droiture irréprochable, sauf pour ce qui était d'un petit péché qu'il cachait comme le Graal, mais qu'Endriscksen connaissait, pour y avoir participé. Il se voilait la face, et Endricksen détestait ça. Le Juge roula des yeux en voyant le vieil ange dans cette tenue, malgré qu'un rougissement lui prenne le nez.

« Quel souillon tu es, Endricksen. Je suis la pour te demander d'apporter l'enfant fleur à notre Seigneur. Il lui appartient et ton travail devrais être terminé avec lui depuis longtemps. » grinça-t-il

en croisant ses bras sur son torse, le fixant de haut, alors qu'il arrivait à peine à en haut de son ventre. Endricksen se crispa légèrement, déglutissant rapidement en dérivant le regard un instant. Il ne pouvait pas donner Nathanaël à son père. Le Seigneur verrait forcément la puissance dans le regard de sang de son fils, c'était sûr. Il avait peur de la réaction de l'Être Lumineux, et voulait au moins que Nath ne soit plus un enfant pour le livrer au regard de son père. Il secoua sa large tête aux longs cheveux blancs emmêlés, l'air ferme.

« Non, il n'est pas prêt, il grandit très lentement, il ne vole encore même pas, je lui apporterai quand j'aurais jugé mon travail terminé avec lui. » décréta-t-il

en s'appuyant sur l'encadrement, ne se laissant pas atteindre par l'autorité haineuse de Metatron. Le Juge fronça les sourcils et tourna les talons, une main sur sa belle hanche roulée.

« Ne t'attaches pas trop, Vieux Rouge, cet enfant ne t'appartient pas, tu devras le laisser partir un jour. » lança-t-il

avant de déployer ses grandes ailes blanches et de disparaître rapidement. Endricksen soupira doucement, ses oreilles tombantes sur les cotés alors qu'il se massait à nouveau les yeux.

« Je le sais bien... » murmura-t-il

avant de sursauter légèrement quand il sentit quelque chose lui enlacer la jambe. Il baissa la tête, se penchant pour regarder par dessus sa bedaine, et vit le tout petit garçon qui le regardait les larmes aux yeux.

« Pourquoi je dois partir ? Tu vas m'abandonner parce que je suis un monstre ? » pleura le petit

en serrant désespérément la jambe de son tuteur, reniflant. Endricksen poussa un profond soupir et attrapa doucement son petit pour le ramener à lui, le posant sur le rebord que créait son ventre par rapport à son torse, et lui embrassa tendrement le front, yeux clos.

« Non... bien sur que non... je ne te laisserai jamais Nath... c'est promis... » murmura-t-il

doucement, lui caressant le dos avec douceur. Le petit le regarda, plongeant ses yeux d'un rouge pourpre profond dans ceux bleus délavés de son tuteur, levant son minuscule auriculaire.

« Croix de bois croix de fer ? » couina-t-il, l'air plein d'espoir.

Endricksen hocha doucement la tête, souriant tendrement. Il toucha délicatement le petit doigt de son petit avec le sien, infiniment plus gros.

« Croix de bois, croix de fer... »

De pourpre  et de mort  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant