les enfants des Trois Grands

Un déjeuner

Hazel angoisse. Elle fixe la porte du restaurant, attendant avec impatience et terreur que Nico la franchisse avec son éternel blouson d'aviateur, ses écouteurs, son pantalon noir et ses converses noires. Elle lui avait proposé de venir la rejoindre au restaurant, la veille à peine. Elle lui avait dit que leur père souhaitait lui parler. Il avait assez mal réagit sur le coup mais avec beaucoup de douceur et de diplomatie elle avait réussi à le convaincre de venir. Elle avait même proposé de rester durant tout l'échange mais il avait refusé. Il préférait qu'elle parte dès qu'il arriverait afin de ne pas être prise entre deux feux comme lors de ce dîner catastrophique.

Elle avait accepté mais maintenant elle doute. Voilà quarante-cinq minutes qu'elle et son père poireautent dans un restaurant convenant à un déjeuner d'affaires et elle sent les regards curieux sur eux, la mettant véritablement mal à l'aise. Elle retient un soupire en pensant à cette drôle de situation... Elle a un bloc note sur ses genoux, toujours parée de son éternel style classique, elle joue le rôle de l'assistante du grand Hart Rheadini pour son stage d'entreprise comme s'il ne s'agissait pas du tout de son père. Un silence pesant règne à la table et elle voit bien le regard triste de son père. Elle était si heureuse d'apprendre qu'il voulait renouer avec eux, raison pour laquelle il lui a proposé de la prendre en stage, ce qu'elle n'avait pu refuser. Il faut dire que le métier de son père l'avait toujours fasciné bien qu'elle pensait ne pas avoir la carrure pour une telle profession.

-Il ne viendra pas. Tu veux commander ?

Elle lui lance un regard désabusé mais se reprend vite et lui dit en agrémentant sa réponse d'un sourire confiant :

-Il va venir. Il a sûrement du retard à cause des cours.

Elle peste mentalement contre elle-même : qu'elle idée d'organiser cela en pleine journée ? Elle est vraiment à côté de la plaque des fois ! Mais alors qu'elle angoisse davantage, guettant la porte à la recherche de sa tête de mule qui lui sert de frère, son père la surprend à nouveau en disant :

-Et sinon, on pourrait parler de toi.

-Que voulez-vous savoir ?

Elle joue son rôle à la perfection et son père sourit en la voyant aussi sûre d'elle. En la voyant il ne peut que repenser à Marie... Cette petite dame un peu fofolle qui fut sa meilleure amie dans l'adversité, celle qui l'accueillait dans son lit alors qu'ils n'étaient que des adolescents et qu'il fuyait sa maison. Les abus d'un père et la négligence d'une mère qui a attendu d'avoir un dernier enfant pour se rendre compte que cela ne pouvait plus durer. Il serre le poing et respire profondément en comptant jusqu'à dix pour se calmer et chasser l'horreur de sa mémoire. Il retourne son attention sur sa fille et lui dit :

-Les arts t'intéressent ?

-Oh oui, j'adore dessiner. C'est ma passion !

-Alors pourquoi un cabinet d'avocat comme stage en entreprise ?

-Eh bien je ne pense pas vouloir faire de l'art mon métier. C'est un plaisir et je ne veux pas être obligé de dessiner parfois même quand je n'en ai pas envie.

-Je comprends. Et la Justice t'intéresse ?

-Oui mais je pense que je préférerais être Greffière plutôt qu'Avocate.

-Greffière ?

-Oui mais peut-être que je changerai d'avis. Selon comment se passe la suite de mon stage avec vous.

Il lui adresse un sourire et dit sur le ton de l'humour :

-Alors prions pour que cela se passe bien.

Elle rit légèrement mais la question qui suit la fait rougir furieusement :

-Et tu as quelqu'un en vu ?