Chapitre 5

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     La nuit venait de tomber et l'on pouvait contempler les étoiles s'allumer une à une dans le ciel. Après avoir déjà lu plus de la moitié du livre offert par le libraire, Belle était sortie vérifier que les poules et les chèvres avaient encore assez d'eau pour la nuit. Elle avait terminé ses corvées, et décidé de s'installer un moment sur les marches de la maison pour profiter de l'air pur et frais de ce dernier soir d'automne.

     Elle se mit à penser à ce château qu'elle avait vu en songe. Seulement, cette fois, il ne s'agissait plus de la demeure féérique en pierre blanche, aux tourelles surmontées de toits dorés, avec des angelots sculptés ça-et-là, entouré de parcs verdoyants et fleuris. Belle ferma les yeux pour mieux visualiser ce qui ressemblait plus à un souvenir qu'à un rêve.

     Soudainement sombre, le palais était à présent orné de sinistres gargouilles au-dessus des immenses portes et les jardins, envahis par les ronces et les herbes hautes, n'avaient plus rien d'accueillant.

     À l'intérieur, il n'y avait plus de rires d'enfants, plus de discussion des domestiques, plus aucune joie : uniquement de la colère et de la tristesse. Aucun lustre ne procurait de lumière, aucun feu n'apportait de chaleur à ce décor lugubre et aucun son ne venait briser cet inquiétant silence. La demeure semblait inhabitée, vide, morte.

     Elle marchait à présent dans un long couloir peu rassurant, dans lequel s'infiltraient des courants d'air froids. La décoration en ces lieux consistait en d'immenses statues terrifiantes de dragons ou autres démons. Sur les murs trônaient des portraits entaillés et des miroirs brisés, les tentures étaient défraîchies, le sol sale et le plafond semblait prêt à s'effondrer sous le poids des toiles d'araignées. « L'aile Ouest », se dit-elle soudainement.

     Enfin, elle distingua, grâce à des chandeliers disposés de chaque côté, une porte au bout du corridor. Elle savait que pénétrer dans cette pièce était le seul interdit qu'on lui eût imposé. Mais elle n'avait jamais visité de château ensorcelé, et la curiosité qui la tenaillait fut alors bien trop grande pour qu'elle pût y résister. Belle manipula le heurtoir doré en forme de bête, et entra dans ce qui devait être une chambre. Ici aussi, elle constata que tous les portraits avaient été détruits.

     Sans même tenter de joindre les morceaux de toile, elle connaissait les traits de ce visage peint. Elle le revoyait nettement : c'était le prince que la jeune femme avait épousé dans son rêve, la nuit dernière.

     La large pièce croulait sous un chaos indescriptible. Le mobilier gisait sur l'épaisse moquette encombrée de débris en tout genre, des rideaux déchirés pendaient ça-et-là, accentuant l'atmosphère effrayante des lieux.

     Son regard fut attiré par une douce lumière d'un rouge tendre. Là, sur le guéridon, une rose écarlate flottait dans l'espace d'une cloche posée sur elle. Une rose qui, lentement, inéluctablement, perdait ses pétales au fil des jours comptés par une malédiction...

     La porte s'ouvrit brusquement, laissant deviner une ombre immense dans l'encadrure.

Le dernier pétaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant