Chapitre 1

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          « Le château, empli de vie après tant d'années de silence, avait ouvert ses portes aux sujets pour que chacun puisse venir assister à la fête. Les domestiques ne pouvaient contenir leur émotion et la gouvernante laissait parfois s'échapper une petite larme de bonheur. Tous ne pouvaient que se réjouir du renouveau qui allait rayonner sur le royaume grâce à ce mariage féerique.
         Le prince, enfin libéré du terrible sortilège qui l'avait emprisonné bien trop longtemps, se montrait sous son meilleur jour. Souriant, ravi, éperdu de joie au bras de son épouse, il n'avait plus rien du monstre d'indifférence qu'il avait été avant même l'intervention de la sorcière. L'amour de la princesse, simple jeune femme de naissance, avait brisé le mauvais sort. Le couple donnait sa dernière valse dans l'immense salle de bal aux scintillants lustres de cristal, lesquels diffusaient des arcs-en-ciel sur les tentures murales. Ainsi s'achevèrent les royales célébrations sous les regards attendris des invités.
          Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. »

          Belle posa sa plume sur la table, referma l'encrier et s'étira longuement en regardant par la fenêtre. Le soleil s'était levé sans qu'elle ne s'en aperçût : un superbe ciel bleu caressait déjà l'horizon sans nuage. Combien d'heures avait-elle passées assise dans la cuisine, à noircir des pages ? Elle n'avait même pas entendu le coq chanter !

          La veille au soir, après avoir lu les deux derniers chapitres de son roman, elle avait soufflé la bougie et s'était couchée. Le sommeil lui avait apporté des images, des rires et des conversations : un rêve si intense qu'il paraissait être un souvenir plus qu'un songe. Lorsqu'elle s'était éveillée en sursaut, il lui avait fallu un bref moment pour discerner la réalité de sa rêverie. Elle reconnut finalement l'univers familier de sa chambre, le moelleux de son lit et ses livres sur la commode. Elle eut besoin d'un léger temps d'adaptation, comme si, malgré tout, elle n'était plus vraiment à sa place.

          Belle ne put se résoudre à se rendormir : elle venait de vivre une histoire formidable, une histoire digne de ces lectures qu'elle aimait tant ! Une histoire qu'elle ne voulait surtout pas oublier. Sur son bureau, elle avait trouvé une plume délicate glissant aisément sur le papier qui l'accompagnait : il lui fallait écrire cette épopée sentimentale ! Amoureuse de contes, elle n'avait jamais pensé en écrire un. D'ailleurs, tandis qu'elle s'appliquait à relater minutieusement chaque événement de son rêve, elle avait la sensation de raconter son propre vécu.

« Curieux, comme un rêve peut parfois bouleverser. Je dois passer trop de temps dans mes romans ! », pensa-t-elle en rangeant son matériel.

          Le feu qu'elle avait allumé dans la cheminée à son réveil s'était éteint mais il faisait doux dans la petite maison. Elle ouvrit les fenêtres et vit que son père, quant à lui, avait passé la nuit dans son atelier. Il y resterait des heures sans dormir si Belle ne venait pas l'interrompre pour l'inviter à se reposer.
Inventeur, il devait se rendre à une foire pour présenter ses innovations. Parmi tous les engins qu'il créait, il était particulièrement fier de son dernier ouvrage : une machine à couper du bois qui faciliterait grandement la vie de centaines de familles. Demain, il présenterait sa mécanique, et bientôt, ils seraient riches ! Alors Belle l'avait laissé travailler tard. La jeune femme eut un sourire en pensant à l'opiniâtreté de son père. Un jour, les gens reconnaîtraient son talent, elle n'en avait jamais douté.

          Elle se rendit dans sa chambre pour se changer ; elle devait nourrir les poules avant de se rendre au village pour faire des achats. Quand elle enfila sa robe blanc et bleu, sa préférée, c'est le doux contact du satin, celui d'une autre robe, d'un jaune chatoyant, qu'elle sentit sur sa peau.

Le dernier pétaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant