Chapitre 8

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     La vieille femme posa une fine main blanche sur le bras de Gaston : ses doigts glacés l'enserrèrent légèrement un instant, et la mémoire du jeune homme s'emplit d'images qu'il avait oubliées.

     Comme il l'avait compris dès le réveil, le combat sur les toits de tuiles trempées par la pluie n'était pas un cauchemar. Il avait réussi à réunir tous les villageois qui, torches et fourches en main, s'étaient rendus au château du monstre pour lequel il se réservait tous les droits. Il avait bien eu l'intention de le tuer et de l'empailler pour l'installer, lui aussi, dans sa taverne où il pourrait l'observer comme son plus beau trophée.

     Le château entier était hanté de créatures étranges : les objets qui s'y trouvaient possédaient la capacité de s'animer. Les villageois l'ayant accompagné furent déboutés par une armée de chandeliers, d'armoires, de tasses et de petites cuillères. Mais lui, était parvenu à trouver l'immonde créature, et avait commencé une lutte sans merci avec lui.

     Puis Belle était arrivée, elle avait grimpé les marches jusqu'au toit. Elle avait tenté de les séparer. Elle avait agi comme une petite sotte, prenant la défense de la Bête. Un moment, Gaston s'était même demandé si Belle n'était pas tombée amoureuse du monstre.

Ensuite, les éclairs, le tonnerre, la glissade et cette chute vertigineuse, à n'en plus finir...

     Il tomba, tomba encore et encore pour terminer sa dégringolade dans une rivière glaciale des centaines de mètres en contrebas. Les membres rompus, il était en train de se noyer lorsque la sorcière intervint pour le sauver avant qu'il ne fût emporté par le fort courant. Debout sur la rive gauche, la vieille femme en noir avait levé ses mains au ciel, et Gaston se mit à léviter au-dessus des flots. Il tenta de se débattre, en vain car son corps ne répondait plus à sa volonté. Une terrible douleur s'insinua dans ses os comme broyés par la chute. L'inertie dans ses bras et ses jambes lui donnait l'impression d'être une poupée de chiffon : Gaston détestait singulièrement cette impuissance à laquelle il n'était guère habitué.

     Puis, la sorcière le ramena sur la terre ferme. Elle l'avait ensuite gardé deux ou trois jours, le temps de soigner le jeune homme, et avait réussi là où les médecins n'eussent rien pu faire. Grâce à ses soins, Gaston remarcherait bientôt et pourrait de nouveau chasser.
Il se revit, allongé sur une couchette de paille, tentant de faire bouger ses pieds sous les injonctions de la vieille femme. Enfin, tandis qu'il était persuadé ne jamais retrouver l'usage de son corps, il parvint à agiter les orteils. Il entendit la sorcière prononcer des mots de satisfaction.

      « Maintenant, passons aux choses sérieuses », avait-elle déclaré.

     Deux secondes plus tard, alors qu'il avait tout juste cligné des yeux, Gaston se trouvait au cœur de sa taverne. Jouissant à nouveau du contrôle de ses membres, il se tenait à table avec la sorcière à qui il offrit d'apporter la rose magique que le monstre cachait jalousement. En échange de quoi, la vieille femme lui proposa de revivre n'importe quel jour.
Naturellement, il avait choisi la veille de la journée où Belle lui avait échappé pour s'enfuir dans l'antre de la Bête...

Le dernier pétaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant