Chapitre 11

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     Gaston s'éveilla, et sourit à cette nouvelle matinée : une chance de plus pour atteindre ses objectifs. Il se souvenait que, dans une autre réalité, il était allé jusque chez Belle pour lui demander officiellement sa main devant tout le village invité comme autant de spectateurs pour contempler sa réussite. Jamais il n'eût pu imaginer être éconduit de la sorte. La jeune femme avait évité son contact tandis qu'il lui faisait une cour des plus raffinées, avant de le mettre à la porte de chez elle et tourner la clef dans la serrure pour être sûre de ne plus être déranger dans son étrange solitude. Il avait alors glissé sur les escaliers et s'était retrouvé dans la mare aux cochons sous le regard et les éclats de rire des villageois. Il ne commettrait pas deux fois la même erreur.

     Belle se montant bien trop têtue, Gaston avait donc dû adapter sa stratégie s'il voulait la conquérir. Il se félicita de nouveau de son esprit brillant. À cette heure-ci, puisqu'il n'avait pas pu se perdre, le vieux fou de Maurice devait être en train de préparer l'exposition d'une de ses machines infernales en tentant de se faire passer pour un savant. Ce soûlard de Norbert pouvait être utile finalement.

     La bonne humeur de Gaston s'envola pourtant lorsqu'il se souvint de sa conversation de la veille avec la sorcière. Celle-ci le pressait de lui rapporter la « rose magique » que la Bête possédait dans un coin gardé de son château. Bien qu'elle fût restée plutôt courtoise — pour une vieille sorcière — elle avait manifesté son impatience et son ton en était presque devenu menaçant.

     Aujourd'hui, il n'irait pas voir la jeune femme pour se ridiculiser devant tout le monde : il devait se rendre au fin fond de la forêt, retrouver l'immense demeure princière, et abattre le monstre, l'empêchant ainsi d'avoir une quelconque influence sur Belle. Gaston demeurait persuadé que cette dernière avait été sous le coup d'un enchantement lorsqu'elle s'était interposée pour prendre la défense de la Bête. Non, ce ne pouvait être, comme il l'avait d'abord pensé, de vrais sentiments. Comment pouvait-elle lui préférer cette créature immonde ?

     Quelques heures plus tard, alors qu'il se pensait égaré, Gaston vit enfin le château de l'abomination se dessiner sur une colline dans le crépuscule. Il caressa machinalement la crosse puis le canon de son arme la plus puissante, celle avec laquelle il n'avait laissé aucune chance à de nombreux ours. Il était venu seul, même Lefou ignorait où il se trouvait. Le jeune homme eût apprécié avoir quelques spectateurs, mais il devait se montrer discret et, telle une ombre, se faufiler dans les couloirs sans faire un bruit. Dans un premier temps, mettre la rose à l'abri. Ensuite seulement, attaquer la Bête sans l'avoir alerté de sa présence.

     La lumière diminuait considérablement à mesure que Gaston avançait vers le château hanté, et bientôt, il fit nuit. À présent, il ne percevait même plus les hautes tours, pas plus qu'il ne pouvait observer les cimes des arbres s'élancer vers le ciel dépourvu d'étoiles. La forêt s'épaississait, les oiseaux se faisaient plus rares, et un silence inquiétant régnait dans l'opacité des bois. Brusquement, le tonnerre se mit gronder, et bien qu'il ne vît toujours pas dans quelle direction l'emmenait son destrier, il sut qu'il approchait du château. Se frayer un chemin au milieu de l'intense sapinière avait été un choix délibéré : il ne souhaitait pas passer par la route qui l'eût rendu trop repérable. De plus, cette voie était infestée de loups affamés que Gaston préférait éviter. Même si cela pouvait toujours lui apporter un trophée de plus à accrocher aux murs de sa taverne.

     Il distingua enfin l'antre du monstre lorsqu'un immense éclair déchira le ciel pour tomber derrière le palais. 

Le dernier pétaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant