7. Pensées nocturnes [~]

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Le noir d'abord. L'obscurité tranchante de la nuit. L'encre épaisse et noire du ciel qui coule, coule, et recouvre tout.

Puis les lumières. Le blanc scintillant des étoiles qui s'allument les unes après les autres la-haut. Des milliers d'âmes vivent en leur sein, illuminant le ciel nocturne depuis la nuit des temps. Chacune à sa propre histoire, son propre passé, ses larmes, ses rires, ses souvenirs gravés dans leur cœur. Toutes ont vécu, ont laissé leur trace dans l'univers, ont contribué à écrire l'Histoire. 

Chaque âme représente un grain de sable dans l'infinie étendue de la vie, mais c'est assemblées que leur existence prend un sens. Que notre existence prend un sens.

Le ciel se mélange, les étoiles se tournoient, laissent des traînées brillantes dans le tableau noir de l'espace. Le temps se dilate, l'espace se transforme, les flux invisibles m'entourant se mélangent, se brisent, se reforment.

Soudain, une conscience aiguë se réveille en moi. Des frissons me parcourent, alors qu'une onde violente se propage en moi. Chaque sensation est décuplée, et je découvre des émotions, des images et des sons inédits, nouveaux pour mon esprit encore innocent, jeune et naïf.

Je sens l'herbe froide, piquante et douce à la fois qui me démange l'arrière du crâne, les bras que j'ai repliés sous ma tête et mes chevilles dénudées. Allongé ainsi je ressens chaque infime vibration du sol, chaque tremblement de la masse conséquente que représente la Terre sous moi.

Je sens le vent chaud sur mon visage, mes bras et mes chevilles. Sa caresse lente et douce, embrasant ma peau dénudée de toute sa vigueur.

Je sens l'odeur du champ dans lequel je suis allongé. Les premières fleurs du printemps naissant me font parvenir un parfum fruité, sucré et floral, me rappelant des souvenirs profondément enfouis. Une image me parvient, et j'entrevois une chevelure brune qui disparaît aussi brusquement qu'elle était apparue. Les senteurs du champ m'ont ramené dans les bras de ma tante, à humer son parfum comme lorsque je n'étais qu'un enfant.

Des mélodies étouffées me parviennent dans un orchestre naturel, sauvage, désorganisé. les bruissements des herbes, des feuilles et des plantes agitées par le vent se mélangent au grondement éloigné de l'autoroute et aux cris lointains des voisins, fêtant une quelconque occasion spéciale avec leurs amis.

Et moi, je suis là.

Immobile, absorbé par les sensations qui me traversent de part en part, me prennent au dépourvu. 

Bouleversé par la beauté, la mélancolie du tableau qui prend place dans le ciel noir : ces étoiles, cette obscurité, ce calme presque silence. Ce silence si bruyant, qui me donne envie de me recroqueviller sur moi-même, de hurler ma vitalité, ma joie, mes peines et mes peurs au monde entier.

Cette envie qui me prend aux tripes de raconter mon histoire ; que l'on m'écoute, que l'on me console, que l'on me pardonne. Ce besoin viscéral d'être aimé, compris, aidé. Ce sentiment que chacun recherche, mais que peu comprennent réellement. Ce bonheur qui comble, cette plénitude qui envahit l'âme et réchauffe le cœur. Ce soir-là, le nez dans les étoiles, j'ai l'impression d'y accéder comme jamais je n'y étais parvenu.

C'est un sentiment indescriptible lorsque mes yeux se perdent mille fois dans les étoiles, lorsque mes sens s'affolent au point où je ne sais plus où je suis, qui je suis. A ce moment-là, je suis femme, homme, eau, feu, lumière, obscurité, vérité, mensonge, silence, bruit. Je suis moi, je suis toi. Je suis nous, je suis eux. 

Les existences de chacun se transposent sur la mienne, et je suis submergé de voix, d'images, d'odeurs. Des milliards de souvenirs s'abattent violemment sur ma ridicule petite personne.

Je deviens quelques instants le vivant. J'incarne quelques secondes quelque chose de plus grand que moi. Je propage l'espoir, la douleur.

Puis la calme refait surface. Et le poids du monde s'abat sur mes épaules. le flou fait régner une brume narcotique sur mon esprit, qui ne tardera pas à sombrer lui aussi dans un sommeil lourd.

Mes pensées restent claires encore quelques instants, avant que tout mon être ne sombre dans les bras de Morphée.


Les étoiles brillèrent d'une lueur éclatante cette nuit-là. Et l'obscurité du ciel fut plus profonde que jamais. Dans ce champ perdu, au beau milieu de nulle part, quelqu'un découvrit momentanément les secrets de l'univers. 


RecueilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant