Chapitre XIX

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Recroquevillée sur moi-même sur le sol, je sommeillais d'un œil.

Nous avions marché en silence pendant une journée entière, toute notre attention focalisée sur un seul objectif : nous éloigner le plus possible au groupe d'assassins et échapper à leur vengeance pour avoir tué un de leurs chefs.

J'avais toujours un mal-être étrange qui me prenait sans cesse, mais j'avais appris à l'ignorer. L'impression que quelque chose me guettait, au fin fond de mon esprit, ne me quittait jamais.

C'était la raison pour laquelle mon sommeil n'était que léger.

Lorsque j'entendis des pas s'approcher de moi, je sortis définitivement de mon sommeil, sans toutefois ouvrir les yeux. On me couvrit d'une cape qui me réchauffa aussitôt, j'entrouvris un œil pour regarder entre mes cils. Targen, occupé à sa tâche, ne m'avait pas remarquée, me couvrant en silence d'un cape en faisant de son mieux pour me couvrir en entier. Othar était appuyé contre un rocher à quelques pas, et le regardait faire en silence, l'air songeur.

Targen relâcha ma couverture et, sans un regard de plus, se détourna et se redressa. Je pressai les paupières, mais il se contenta de s'éloigner de quelques pas pour aller s'asseoir sur un rocher pour monter la garde.

- Tu te soucies d'elle, murmura Othar, si bas que je faillis ne pas l'entendre.

- C'est mon amie, répondit simplement Targen.

Je dus me retenir d'afficher un immense sourire. J'avais à présent deux amis ! C'était plus que je n'aurais jamais pu en imaginer. Je mourrais d'envie d'aller le crier à mes sœurs, ou à Legolas.

Othar garda le silence, et je devinai qu'il avait du lui dire quelque chose d'un regard, car Targen continua :

- Elle m'a toujours aidé. Depuis le début. Alors que j'étais un assassin envoyé pour détruire son peuple. Elle n'a jamais cessé de m'apporter son aide. J'ai la dette d'une vie envers elle, déclara-t-il.

Je ne pus m'empêcher de ressentir un pincement au cœur. Ainsi donc, c'était la seule chose qui nous rattachait. Une dette. Certes, je n'aurais jamais osé prétendre que Targen faisait partie de mes plus proches compagnons, mais il m'avait semblé qu'une certaine amitié s'était construite entre nous. Après tout, il connaissait certains de mes secrets, que je n'avais jamais osé dire à personne.

- Je ne t'aurais jamais cru capable de t'accrocher aux jupes d'une femme, ricana Othar.

Je rougis violemment.

- C'est faux ! Répliqua Targen.

- C'est vrai, chantonna Othar.

- C'est faux. Et puis d'abord, Laurelin est plus qu'une porteuse de jupes.

- C'est une femme.

Un long silence suivi sa déclaration, et j'hésitais à faire entendre mon avis à pleine voix, lorsque Targen le fit à ma place.

- Je ne t'aurais jamais cru capable d'une telle bêtise, mon frère, rétorqua Targen, glacial. C'est une femme, et comme toutes les femmes de ce monde, elle a probablement plus de courage dans son petit doigt de pied que toi et moi réuni.

Othar parut surpris.

- Qu'est-ce qui te prends, tout d'un coup ? Tu pars pendant un an et tu reviens complètement radicalisé. C'est elle qui t'a mis ces idées dans la tête ?

- J'ai vu et entendu plus de choses que je n'aurais jamais imaginé. Sais-tu qui a repris le royaume du Nord ?

Silence.

- La princesse et ses deux petites sœurs. Pas moi, pas l'armée de résistants qui s'était constituée pendant les années de leur exil. Sais-tu qui a mené les résistants par l'arrière ? Leur cousine qui avait grandi dans un cachot. Elles l'ont fait, et elles l'ont fait avec splendeur.

Je m'appliquai à rester parfaitement immobile, effrayée à l'idée d'être découverte. Lorsqu'il ne pensait pas que je l'entendais, Targen pouvait avoir une opinion surprenante. Jamais je n'aurais cru que notre petite rébellion de pacotille –provoquée avec une chanson stupide, de plus ! – l'aurait impressionné.

- Et ce n'est pas juste, continua-t-il, qu'on leur répète qu'elles ne sont bonnes qu'à enfanter, qu'on essaie d'abuser d'elles sans la moindre honte, alors qu'elles sont probablement plus intelligente que les Maias.

- Oh, et le fait qu'elle puisse rentrer dans ta tête ne t'effraie pas ?

- Non. J'ai confiance en elle. Et tu devrais en faire de même si tu veux qu'elle te guérisse.

- Pour l'amour des Valars, Targen, tu t'entends parler ? Ce ne sont que des bêtises ! S'exclama-t-il. Tu penses franchement que la reine t'a pardonné ? Tu as peut-être tué ses parents ! Tu l'as poursuivie pendant toute sa vie !

Mon cœur se mit à battre la chamade dans ma poitrine, ma respiration s'accéléra. Une peur sans nom me prenait. Non pas parce qu'Othar avait peut-être raison, mais parce que je craignais qu'il convainquit Targen.

- Arrêtes, gronda Targen.

- Elle n'a fait que t'utiliser ! Continua Othar. D'abord pour tuer tous nos meilleurs combattants, puis pour libérer son royaume ! Et maintenant, elle t'envoie avec sa petite sorcière faire son sale boulot ! Tu penses vraiment qu'elle t'accueillera à bras ouverts lorsque tu reviendras ?

- Je t'ai dit d'arrêter !

- Ouvres-les yeux, Targen ! Martela-t-il. Elle va te faire exécuter dès que tu ne lui seras plus utile ! Ton amitié avec sa petite sorcière se terminera avec ta tête sur un piquet !

- Arrêtes ! Tona Targen, sautant sur ses pieds.

Othar, visiblement peu habitué à la colère de son petit frère, se tut.

- J'ai confiance en elle, d'accord ? En elle, et en ses sœurs, et en leurs amis. Laurelin préférerait encore avoir sa propre tête sur un piquet plutôt que de faire un chose pareille. Et puis, peu m'importe. Cela m'est égal. Je ne gâcherais pas mon amitié avec elle pour tes inquiétudes et tes préjugés complètement stupides.

Il se rassit, juste à côté de moi, comme pour vérifier que je dormais bien, à moins que ce ne soit pour me protéger de son frère.

Mon cœur s'apaisa, ma respiration se fut plus régulière. Je sentais le sommeil me reprendre. Alors que j'allais sombre dans l'inconscience, j'entendis la voix d'Othar murmurer tout bas :

- Oh, Targen, sais-tu seulement ce que tu fais ?

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⏰ Dernière mise à jour : May 06, 2021 ⏰

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