Je plaçai la main en visière sur mon front pour regarder au loin, et plissai les yeux. Je ne voyais pourtant que les arbres, et, au milieu, le fleuve qui serpentait. Roulait, bondissait, sautillait au loin et disparaissait dans cette ligne presque bleu qui définissait l'horizon. Nous en avions encore pour quelques jours, avant de regagner la terre ferme.
Un sifflement me tira de me pensées, je baissais le regard vers le pont.
- Finwë !
Debout sur le plancher de bois, les poings sur les hanches, Targen me regardait, ses cheveux noirs fouettant son visage. Ils étaient courts, plus courts que ceux d'un Elfe, et lui arrivaient aux épaules. Mais, parmi les Hommes, il ressemblait simplement à un marin. A un pirate, je m'amusais à penser, en songeant à son teint halé par le soleil et ses vêtements constamment débraillés.
J'enroulais une corde autour de ma taille pour m'assurer de ma sureté, en attrapais une autre et me laissais glisser le long du mat principal, appuyant mes pieds sur le mat pour me propulser en arrière. Mes cheveux volèrent autour de mon visage, quittant définitivement mon chignon.
Je me laissai tomber debout sur le pont sous les regards amusés des marins. Targen prétendait que je passai mes journées à les charmer, mais je pensais qu'il tentait simplement de m'empêcher de m'amuser sur ce bateau, sans succès.
Nous avions payé nos places sur ce navire de marchands qui, comme nous, descendaient le fleuve vers l'Ithilien. Targen répétait que le capitaine nous avait cédé ces places uniquement car il avait un faible pour moi, mais je ne croyais pas que c'était le cas. Néanmoins, j'étais plutôt heureuse d'avoir ma propre cabine, ce dont je ne me gênais pas pour me vanter auprès de mon compagnon de voyage.
Durant la première semaine de navigation, je restais à l'écart, assise, silencieuse et attentive, le dos droit, comme une dame bien élevée. Je tins cinq jours. Avant de débarquer habillée en hommes et pieds nus sur le pont, à grimper aux cordages et à brailler des insanités à faire pâlir des marchands de poissons. Les matelots me regardèrent faire avec stupéfaction, avant de se mettre à m'enseigner tout et n'importe quoi. J'observais tout, tentait de retenir ici et là un terme qui m'échappait. Je n'osais jamais utiliser mes connaissances péniblement acquises, de peur de faire chavirer le navire.
Targen, lui, en avait fait autant, et j'étais persuadée qu'il avait parié sur le nombre de jours que je parviendrais à tenir en jouant les dames distinguées. Curieusement, il n'avait pas été surpris, mais, après tout, il avait rencontré mes sœurs. Et elles étaient en sécurité, plus que je ne l'étais moi-même.
- Quoi ? Demandai-je en me postant face à mon compagnon, tentant vainement de garder mes cheveux en dehors de mon visage.
Il me considéra d'un air amusé, je croisais les bras en me dressant de toute ma hauteur, mais il faisait toujours une bonne tête de plus que moi. J'aimais bien jouer à ce "jeu", celui où j'avais de l'assurance et où je passais mes journées à l'enquiquiner. Je savais que cela l'amusait.
- Le soleil va bientôt se coucher, déclara-t-il.
- Oui, je sais, rétorquai-je. Et que voulez-vous que je fasse ? Que j'aille le border et lui chanter une berceuse ? Dois-je l'embrasser ?
Un marin à quelques pas se mit à rire, mais parvint à masquer son éclat de rire avec une toux. Targen lui lança un coup d'oeil, mais l'homme fit semblant de s'occuper à rattacher des cordages.
- Non, rétorqua Targen. Mais si vous pouviez rentrer de vous même dans votre cabine le soir, cela nous empêcherait de vous oublier en haut du mat.
- Ca vous ferait bien plaisir, hein ? Mais très bien, dis-je d'un ton dramatique, puisque je ne suis plus la bienvenue ici, je m'en vais trouver une autre tâche où ma présence ne sera pas refusée !
Et je m'en fus en claquant exagérément des pieds sur le sol pour manifester mon faux mécontentement. J'entendis quelques marins glousser, puis la voix de Targen retentit de nouveau alors que je dévalais les quelques marches menant à la porte de ma cabine.
- Messieurs, gardez vos yeux sur vos travaux ! Lança-t-il à la ronde.
Je me figeais sur le pas de la porte, hésitai un instant sur la signification de ses paroles. Ne m'y attardant finalement pas, je rentrais à l'intérieur, et refermai la porte derrière moi.
VOUS LISEZ
Trois paires d'yeux... Bleues - Les Larmes du Sud
Fiksi Penggemar"Je marche dans la nuit. J'ai froid et j'ai faim. Dans mes bras dort ma petite sœur, si petite et si fragile que j'ai peur de la briser. Elle est plongée dans le sommeil, tout comme mon autre sœur, sanglée dans mon dos. Elle aussi s'est endormie, ap...