Chapitre VII

74 7 1
                                    

- Ah oui, c'est vrai ! Me souvins-je bêtement en me frappant de front, me maudissant pour ma stupidité.

Targen leva les yeux au ciel.

- Utilisez donc vos pouvoirs pour vous battre, Laurelin. Ça vous donnera déjà un avantage.

- N'est-ce pas déloyal, de les utiliser alors que vous n'en avez pas ? Ce n'est clairement pas équitable.

Il laissa échapper un rire.

- Laissez tomber ces idioties de loyauté, et de faire vos preuves, Laurelin. Un vrai combat ne se fait pas à la loyale.

Il s'approcha de moi, posa une main sur mon épaule.

- Vous avez le cœur noble, Laurelin, mais vous ne gagnerez jamais un combat en offrant une arme égale à la vôtre à votre ennemi.

Cela me faisait mal de l'admettre, mais il avait raison. Il eut un sourire taquin.

- De plus, notre combat de toute à l'heure n'était pas équitable non plus et vous n'avez rien dit.

Il n'avait pas tort. Après tout, j'étais plus petite, plus frêle, et beaucoup moins expérimentée que lui, mais j'aurais préféré me couper le pied plutôt que de le lui faire remarquer. Il aurait pu penser que je me défilai, et passer pour une lâche était la dernière chose que je voulais.

- Qu'est-ce que je fais, donc ?

- Je ne sais pas. Vous êtes celle qui a des pouvoirs, pas moi.

Et, sans prévenir, il m'attaqua.

Je poussai un cri, me jetai sur le côté pour lui échapper. Peine perdue, et je fus de nouveau envoyée à quelques mètres.

- Encore.

Je me retournai vers lui, les dents serrées. Ah, il voulait jouer à ça ? J'allais lui montrer.

Agrippant l'herbe sous mes mains, je me concentrai. Je tentais tout d'abord d'imaginer des dizaines de personnes identiques à moi, afin de le confondre, mais j'échouai lamentablement. Je ne connaissais pas assez mon visage et l'image était brouillonne dans mon esprit.

Je changeai d'idée. À toute vitesse, je réfléchis à quel visage je connaissais le mieux. Celui de Calie, bien sûr, mais il était hors de question que je ne mentionne seulement son nom devant lui. La réponse me vint d'elle-même.

Mes sœurs. Mes deux petites sœurs dont j'avais appris les visages par cœur, jusqu'à être capable de les dessiner les yeux fermés.

Alors que j'entendais les pas de Targen s'approcher de moi, je m'empressai d'imaginer mes sœurs qui se tenaient devant moi. Déployant ma concentration, j'envoyai la vision dans l'esprit de Targen, qui s'arrêta.

Earine et Nessi se tenaient toutes les deux debout devant moi, armes à la main, prêtes à me défendre.

Targen laissa échapper un sifflement d'admiration.

- Pas mal. J'y croirais presque.

Évidemment. Il savait que c'était des illusions, il savait qu'elles n'étaient pas réelles et qu'elles étaient restées au château. Repoussant Fausse-Earine de la main, il s'approcha de moi et me saisit par le col, me soulevant sur mes pieds. En mon absence de concentration, les illusions de mes sœurs avaient disparues.

- Ce n'est pas ça, Laurelin.

Je me débattis, frappant son bras de mon coude.

- Ce n'est pas comme ça que vous allez gagner un combat.

Il approcha son visage du mien.

- Les gens essaient de vous tuer, ce ne sont pas deux petites Elfes qui vont vous sauver.

Je suffoquai, la panique me prenant à la gorge.

- Vous êtes sensées me faire peur, Laurelin. Alors allez-y. Mettez-y un peu du vôtre. Faites-moi peur.

Je fermai les yeux, et, avant que je n'ai eu le temps de me retenir, j'avais déjà trouvé et j'envoyais comme un réflexe la vision dans l'esprit de Targen.

Une immense vague se dressa au dessus des arbres, roulant par-dessus les cimes. Elle se précipitait vers nous, emportant tout sur son passage.

Targen leva le regard, bouche bée, et j'en profitai pour me dégager. Je le repoussai par les épaules, il trébucha en arrière. La vague s'écrasa sur lui, et je l'entendis pousser un cri de surprise. Je la fis disparaître, laissant la terre l'aspirer à l'intérieur. Lorsqu'elle s'évapora définitivement, il ne restait plus que Targen qui avait levé les bras pour ce protéger. Même les illusions pouvaient faire peur.

Je ne m'arrêtai pas là. Le ciel ambré se couvrit, des nuages noirs recouvrirent la surface de la terre. Une rafale de vent fit soulever les branches et les feuilles, faillit me faire décoller du sol. Les brindilles fouettèrent le visage de Targen, s'envolèrent. Tournant les bras au-dessus de moi, j'accompagnai le vent qui entamait une folle danse, tournant de plus en plus vite.

Une tornade se forma peu à peu, Targen en son centre. Il regardait les filets de vent tourner autour de lui, surpris, puis leva le regard vers moi. Mais je n'avais pas pitié de lui. Après tout, c'était un combat, un vrai. Il voulait avoir peur ? Il allait être servi. Et puis ce n'étaient que des illusions. Elles n'étaient pas réelles.

La tempête prit de l'ampleur, de la puissance, le cyclone emprisonnait mon compagnon dans ses filets. Je levai les bras vers les nuages noirs avec ivresse, laissant le vent fouetter mes vêtements, dénouer mes cheveux. Je n'avais pas peur, mon cœur battait à tout rompre, porté par la puissance qui m'habitait tout d'un coup.

Pour finir, je jetai les bras en l'air, et un dernier éclair déchira le ciel. Le vent cessa si brusquement que je tanguai sur mes pieds, la tornade disparut, les nuages se dissipèrent.

Targen se tenait au milieu des arbres intacts. L'eau n'était jamais passé, il n'y avait jamais eu de tempête, ni d'orage.

Le cercle tracé sur le sol avait disparu.

Trois paires d'yeux... Bleues - Les Larmes du SudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant