Chapitre 2

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En descendant de l'avion, la première chose que l'on remarque est le silence qui règne dans l'aéroport de Honolulu. Les gens sont rassemblés autour des télévisions en hauteur, des ordinateurs et même des téléphones. Je m'arrête devant l'une d'entre elles. Los Angeles est prise. Les activistes ont capitulé. Les cliniques d'avortement sont brûlées. Toutes les personnes qui ne sont pas blanches et hétérosexuelles sont prises en charge. Elles seront déportées dès demain, vers des pays qui voudront bien les recueillir. Je sors de l'aéroport rapidement avec mes deux valises. Je n'arrive toujours pas à croire le prix que m'ont coûté mon billet et mes bagages, le nombre d'heures supplémentaires que j'ai dû accumuler, les choses que j'ai dû faire pour brouiller les pistes. Personne ne sait où je suis, même mes proches n'ont aucune idée. Je vais probablement recevoir un message de ma colocataire bientôt, pour me dire que l'armée est venue au complexe. « Il va falloir s'attendre à des poursuites en cour martiale pour désertion. » Je lève les yeux au ciel. C'était Hawaï ou la Suède. Un billet pour la Suède coûtait le double du prix pour Hawaï. Quand on va en Suède, on est sûr d'être dans un pays qui ne se fera pas attaquer. Son historique de neutralité en fait l'un des pays les plus sécuritaires au monde, mais je ne pouvais pas attendre ma prochaine paie.

Il faut trouver un endroit pour dormir, le vol était long et le décalage horaire ne m'aide pas à rester éveillée.

Les roulettes sur le ciment du trottoir font un bruit agaçant. Plusieurs taxis passent à côté de moi, la paranoïa s'empare de mon esprit. Je commence à regarder derrière moi à tous les dix pas. Ils ne viendraient pas jusqu'ici, l'armée je veux dire. Non, non.

J'arrive devant un motel. Tout vert, il arbore des fleurs lui aussi. Il vient accompagné. Un autre motel exactement pareil se tient à côté, une rue les sépare, il ne semble pas ouvert par contre. Habituellement, c'est la fin et le sommet de la saison forte. Les motels sont censés être tous ouverts et pleins à craquer de surfeurs et de jeunes adultes nostalgiques de leur été. J'entre dans le motel, un homme se tient à la réception. Il est assis avec les pieds sur le bureau. Lorsqu'il entend la porte claquer sur la petite clochette, il se lève et met sa revue Playboy des années 70 dans le bureau.

-Hi!

-For one?

-Yes.

-Are you sure?

-Yes.

-Good.

Il tire l'intérieur de ses pantalons vers le bas et pose sa main sur la mienne. Mes orteils et ma main gauche se crispent, mais je reste passive.

-How many nights?

-I'll give you a deposit.

Son sourcil gauche se lève légèrement et il pince ses lèvres ensemble.

-300.

-Perfect.

Je retire enfin ma main de sous la sienne. J'ouvre mon sac à main. Je lui remets comptant. Il me donne la clé de la chambre 21-A.

-A package for me is supposed to be here.

-Your name?

-A.

-Just A? Yeah. I received a package with that name.

Il me remet une grande boîte recouverte de grands timbres et d'estampes qui disent Fragile.

-Do you have scissors?

-Of course.

J'ouvre la boîte en passant les ciseaux au travers des multiples couches de ruban adhésif. L'homme du comptoir m'observe attentivement en essayant de jeter un coup d'œil à ce qu'il y a dans la boîte. La déception se lit sur son visage lorsque je sors une troisième valise de celle-ci. Identique aux deux autres que j'ai déjà, elle est seulement plus petite.

-You can keep the box.

Il hoche la tête. Je monte les escaliers menant au deuxième étage avec mes trois valises.

Le plancher est recouvert de tapis beige qui a clairement vu des jours meilleurs. Une tache louche devant la porte de la salle de bain me fait regretter le 300$ que je viens de dépenser. J'empile mes valises sur la seule chaise disponible. Le garde-robe contient un repose-linge et un mini-réfrigérateur, je pose ma petite valise dessus. Je l'ouvre, mes « accessoires » n'ont pas bougé durant le transport. Je ne pouvais pas les emmener dans l'avion, ils ne m'auraient jamais laisser passer. Je prends la première chose sur le dessus. Un loquet de sécurité pour la porte. Cela va m'être utile, surtout avec monsieur Playboy en bas. Je l'installe sur ma porte et tente de l'ouvrir plusieurs fois. Je referme la valise et la porte du garde-robe. Les rideaux laissent paraître ce qu'il y a dehors. Le motel d'à côté et la rue. La fenêtre coulisse lentement et je m'appuie sur le bord, pour sentir l'air marin et écouter les vagues. Mon bagage de cabine est rempli de nourriture que j'ai achetée à l'aéroport. Pour le souper, cela devrait suffire, mais demain je vais devoir sortir.

Les étoiles, très prolifiques en raison de l'absence de pollution lumineuse, forment des constellations, je les vois d'un autre angle.

J'écris mon nom sur le mur avec un marqueur permanent. Aphrodite. Pour ne pas l'oublier. Je passe mes doigts dessus et le prononce tout bas, comme une prière que je veux garder pour moi.  

Portrait d'une Guerre CiviliséeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant