Chapitre 3

7 0 0
                                    

Mon bagage de cabine peut se transformer en sac à dos, ce qui est très commode pour marcher sur de longues distances. Je sors de la chambre et je barre la porte. Monsieur Playboy est toujours à la réception, il ne lève pas la tête du magazine. Il doit être un nostalgique. Qui conserve des magazines des années 70? Mon père est né à cette époque. La couverture affiche Crystal Smith. Son brushing ambitieux qui rend ses cheveux volumineux et son sourire timide me font penser que les meilleures années de l'espèce humaine sont probablement derrière nous. Les années 2000 et 2010 n'étaient peut-être pas si pire que ça, finalement. J'en aurai bien profité dans l'insouciance la plus totale que l'on peut avoir. Les matinées que j'ai passées dans mon lit me manquent. Qui aurait cru que de simples élections nous auraient amenés où nous sommes aujourd'hui? Cela faisait très longtemps que la droite et la gauche étaient divisées, qu'il ne restait plus que les extrêmes, il fallait s'y attendre.

Un marché à ciel ouvert se tient devant moi, les comptoirs sont recouverts de fruits exotiques. Des fruits de la passion, des mangues, des goyaves, des ananas, des noix de coco, de nouvelles variétés de bananes, des papayes et des caramboles. Une salade de fruits sur la plage demain, je salive déjà.

Je sors le mini-réfrigérateur du garde-robe. Par quelque miracle, je réussis à rentrer tous les fruits dedans. Bon, maintenant, pour une petite visite de la ville, je vais demander conseil.

La réception n'est plus occupée. Je m'avance dehors dans l'espoir de trouver des gens à qui demander des directions. J'aperçois le réceptionniste qui fume sur la plage, il discute avec un autre homme. Je perçois la fin de leur conversation.

-I'm telling you, they are coming soon.

-You're getting anxious for nothing, we're far from shore. They won't come all the way here.

-They got L.A., I heard they had to surprise them through the beaches. I'm leaving.

-Where will you go?

-Sweden.

-How will you afford that?

-I'll do what it takes.

-Not so loud.

Monsieur Playboy a raison, les conservateurs extrémistes ne viendront pas jusqu'ici. Enfin, j'espère.

Je me rends sur la plage, je ferai de l'exploration plus tard. Je pose mon sac à dos sur le sable et j'observe la mer. Le bruit constant des vagues qui s'échouent sur le sable me permet de rentrer dans un état second, un état de paix que je n'avais pas ressenti depuis un long moment. J'enlève mes Converses rouges et frotte mes pieds contre le sable fin. Habituellement, quand je partais en vacances, je m'assurais toujours d'avoir les pieds tout doux au retour. Je me baignais tous les jours pour exfolier ma peau et je me faisais des masques de boue. Au retour, je n'attendais que les compliments sur mon bronzage. C'est plutôt triste quand j'y pense, cette manie de toujours vouloir se faire remarquer.

Je regrette de ne pas être sortie plus. Mes amis voulaient m'emmener en ville, allez dans des bars underground. Je ne les suivais jamais, évidemment, j'étais bonne pour trouver des excuses. Je voudrais leur parler. Je voudrais parler à mes compagnons d'escouade, à ma voisine de lit superposé qui faisait des cauchemars et qui finissait toujours par venir me rejoindre, pour ensuite repartir aux petites heures du matin. Je repense à mes parents que je n'ai pas vus depuis bientôt un an. Est-ce qu'ils s'inquiètent pour moi?

Je prends mes écouteurs et mon téléphone. Je fais jouer Robbers par The 1975. Je déplace mon sac à dos au niveau de ma tête.

Tout va bien. 

Portrait d'une Guerre CiviliséeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant