Le bateau sent le métal neuf et la propagande. Une odeur écœurante à vouloir s'en arracher les narines. Je remonte des profondeurs où je m'étais caché depuis quelques jours. Après la plage de Santa Monica, ma peau était sérieusement brûlée.
Je respire l'air marin pour la première fois, depuis mon départ de Los Angeles. Je voulais prendre une pause des combats violents, donc je me suis engagé sur le bateau pour Hawaï. Le bateau pour le Japon était bondé de suprématistes blancs qui voulaient prendre leur revanche pour le 7 décembre 1941. Cela fait 84 ans et ils n'en sont toujours pas revenu. Le voyage pour le Japon est beaucoup plus long, ils ont donc le temps de ressasser leur colère et leur haine, transformer leurs ressentiments en armes destructrices.
Je suis assis en avant avec les jambes dans le vide. Je reçois d'occasionnelles éclaboussures, mais rien de sérieux. On arrive demain. Je peux déjà voir les volcans au loin. Encore quelques heures de liberté et d'insouciance. Les cales du bateau sont calmes, les femmes et les hommes profitent des dernières heures de silence avant de devenir des machines de guerre sourdes aux lamentations des gens qui veulent garder leurs libertés. Ma position de tireur d'élite m'enlève ce fardeau des épaules, je tire sur les gens quand j'ai envie de tirer. Je pose ma tête sur la rambarde.
Le navire fait un arrêt brusque, cela m'éjecte presque du bateau. Je dois m'être assoupi. Je me lève et marche vers l'intérieur. Le capitaine Ross est en train de discuter avec le général Jean, celui-ci me lance un regard noir. Il me dit avec l'accent français qui le caractérise si bien :
-Que fais-tu ici?
-Je me suis endormi.
Il lève les yeux au ciel.
-Nous n'étions pas censé arriver demain?
-Le moment où on devait arriver ne te regarde pas. Maintenant, tu vas dans ta cabine, tu récupères ton arme et tu te rends là.
Il pointe ma position sur une carte. C'est une petite rue, encadrée par deux motels verts, l'un des deux ne reçoit aucun client. Je vais pouvoir m'installer dans une chambre à côté d'une fenêtre.
-Des dissidents se cachent dans celui-là.
Le général pointe le motel opposé.
-Ne sont-ils pas les activistes?
-Peu importe leur nom. Ils ne sont qu'une bande d'insubordonnés, qui veulent continuer à vivre dans le chaos et le désordre. Nous sommes presque certains de leur présence sur l'île, nous avons reçu des rapports déclarant que plusieurs de nos confrères et consœurs ont été retrouvés dans cette rue sans vie.
Je passe un doigt sur cette section de la carte.
- Que fais-tu encore ici? Vas te changer. Les gens doivent être capables de reconnaître leur salut.
Leur salut, leur salut... Toujours le salut.
Je descends dans les cales. Ils sont tous partis. Une bande d'angoissés. Ils n'auraient pas dû s'engager dans une guerre comme celle-là. Quoi que ce n'était pas mon choix non plus. J'enfile mon uniforme blanc rapidement. Je prends mon sac à dos, que je bourre de vêtements noirs, ainsi que toutes mes armes et je remonte.
Je prends une grande respiration devant la passerelle.
-Qu'est-ce que tu fous ?! Tire-toi !
Je me retourne vers général Jean et lui fait un salut militaire. La passerelle est chaude sous mes souliers. Les étoiles sont sorties, ce soir, il y a quelques constellations que je reconnais. J'atterris dans le sable. Sans perdre une minute, je cours me mettre à l'abri des regards indiscrets. J'enlève mon uniforme blanc beaucoup trop voyant et enfile des vêtements noirs. Je vérifie que ma lame est rangée et cachée le long de ma cuisse, puis je me mets en route. Le motel n'est pas très loin.
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Portrait d'une Guerre Civilisée
Fiksi IlmiahAphrodite et Isaac participent à la même guerre. Malgré leurs croyances différentes, ils se rendront bien compte qu'ils se ressemblent plus qu'ils ne le pensent.