La danse

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[C'est encore du point de vue d'Erell, n'imaginez pas Solal en tutu s'il vous plaît :) ]

Le jeudi soir, je me retrouve à mon endroit préféré, habillée d'un justaucorps bleu équateur et de collants rose pâle. La main droite posée sur la barre en bois, la tête haute et les épaules baissées, je reproduis les mouvements de danse classique que je connais depuis mes cinq ans. Alma, ma professeure, est assise devant le poste radio qui émet la musique et compte en rythme nos pas.

— Et un, deux, trois et quatre, écoutez la musique ! ordonne-t-elle doucement. Laissez-vous porter.

— J'aimerais bien qu'on me porte, oui, je réponds doucement à l'intention de ma copine Carla, devant moi.

Elle étouffe un rire et me lance un regard noir lorsqu'Alma lui fait une remarque. Je lui souris innocemment. Je me concentre pour la fin de l'exercice et monte sur mes pointes de pieds en même temps que la musique ralentit. Les bras en couronne, je me détourne vers le fond de la salle, plie élégamment mes jambes et suit le mouvement de mon bras qui descend, avec mon menton. La salle devient silencieuse. Je vérifie dans le miroir à ma droite qu'Alma est occupée à chercher la prochaine musique. Tout au fond, je capte le regard d'Imane. Je me retourne et me retrouve face à une colonne de filles, dont Carla, juste devant moi, qui me fait une grimace. Je lui réponds de la même manière et me penche, de façon à mieux voir Imane. On se fait coucou et elle lance un regard à Alma, l'air de dire « c'est toujours le même dragon !! ». Je souris et hoche la tête. Alma n'a pas changé en un été. A chaque fin de période scolaire, on fait les pronostics pour savoir si elle va se radoucir. Ce n'est jamais le cas. Depuis des années, elle est stricte et très autoritaire. Apparemment, on a de la chance de l'avoir, parce que les autres cours de danse classique sont pires. On ne peut pas vraiment avoir de preuve : on ne connaît qu'elle. Mais sous ses airs de dragon, elle se montre parfois gentille et compréhensive. Parfois.

— Vous êtes prêtes ? demande Alma, les yeux rivés sur son poste.

Je sursaute et me retourne vivement. Comme personne ne réponds, elle réitère sa question.

— OUI, je fais.

Derrière moi, j'entends Carla s'esclaffer. La musique la fait taire et nous recommençons l'exercice précédent, avec la jambe et le bras opposé. Les exercices à la barre se succèdent. Les pliés, les battements, les ronds de jambe et enfin les développés. Quand tout est fini, on fait rouler les barres du milieu pour les ranger le long du mur. Enfin, les autres filles le font. Imane nous rejoint, Carla et moi, accompagnée d'Axelle, une jeune fille aux cheveux blonds.

— La torture est enfin finie ! soupire Axelle.

— Tu rigoles ! Les barres c'est le meilleur, je contre.

— On a déjà eu cette conversation, nous rappelle Carla. Mais je suis d'accord avec Axelle. J'aime pas les barres.

— C'est parce que Alma vous laisse tranquille quand vous êtes au milieu. Moi c'est : Erell, tu comptes dans ta tête ? Erell, baisse ta jambe ! Erell, c'est trop saccadé ! C'est jamais assez bien.

— Fais comme nous : suis les instructions, fait Imane.

— C'est pas de ma faute si je ressens chaque musique et qu'une nouvelle histoire se raconte à chaque fois que je danse quand même.

— « Tu t'éparpilles trop », imite Carla avec la voix d'Alma.

Je grimace. C'est vrai qu'Alma me sort cette excuse à chaque fois. Mais je n'y peux rien ! Moi, j'en fais trop et elle n'aime pas, mais quand Lola ne montre rien et ne danse pas avec la musique, elle n'aime pas non plus. D'ailleurs, la voilà qui s'approche de moi.

Nos sentiments voilésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant