Apprendre

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"Mieux vaut comprendre, qu'apprendre."

Gustave Le Bon


Donc. Nous sommes dimanche. Demain, c'est le grand retour. Liz rentre en quatrième secondaire, en plein mois d'avril. La galère... Mais non! Elle est motivée. La matière n'a rien de compliqué. À vrai dire, certains points de matière faisaient partis de ses lectures du matin. Puis elle est studieuse. La réussite n'est pas le souci ici, mais plutôt sa capacité à assumer la reprise d'une vie sociale normale. Dimanche soir, elle continue sa routine, elle écrit. Mais première nouvelle, au lieu d'écrire ce qui lui passe par la tête, elle réfléchit. Elle ne veut pas écrire sur le passé comme elle fait d'habitude, racontant ses journées et ce qui va avec. Là, elle veut écrire sur le futur, sur ce qui va advenir demain. La majeur partie de ses mots exprime une envie de solitude, une envie de ne pas être remarquée.

En fermant son ordinateur, elle vient se taper la tête. Quelle idiote se dira-t-elle; "Je veux retourner à l'école, ce n'est quand même pas pour rester dans mon coin. Puis, dans tous les cas, je sais qu'on va me regarder bizarrement, j'dois m'y préparer hein? Bon, allez, ça va aller, pas de panique, tu gères. Tu vas en cours, tu écoutes, tu travailles, tu va aux toilettes à la récrée et tu manges ta collation, et zou, fini la journée." La panique la gagnera quelque peu quand elle se rend compte que ce qu'elle a écrit n'est donc pas représentatif de ce qu'elle est, de ce qu'elle veut. Elle n'a pas agi a l'instinct. Tout à coup, les mots présents sur ce word la terrifient. Elle ne veut plus les entendre, elle ne veut plus savoir ce qu'elle a écrit. C'est mauvais pour elle. Alors, elle se saisit d'un livre, un bon gros roman, et l'ouvre, lisant les mots machinalement dans l'unique but d'étouffer ces mots qu'elle a écrit. Tout ce qu'elle veut maintenant, c'est cesser d'exister un instant pour ne pas se décourager demain. Elle s'endort sur son livre, une petite larme venant humidifier cette page qu'elle lisait alors.

Au petit matin, son réveil vient lui exploser les tympans littéralement. Elle se réveille, se lève, remarque sa vue se brouiller, grogne entre ses dents et se traine jusqu'à la salle de bain. Une bonne douche froide la réveillera bien, mais au lieu de ça, elle a l'esprit gris comme elle dit. Quelque chose ne va pas. Elle ne le sent pas. Ce temps de réflexion la mettra en retard. Elle attaque sévèrement une pomme à la va vite, enfile son manteau, son sac préparé la veille, et file en trombe hors de chez elle. Fort heureusement, ou pas, pour elle, sa précipitation lui fera oublié tout ce qui l'horripile à l'extérieur. Les regards, les gens qui parlent fort, ceux pressés et malpoli, et sans s'en rendre compte, elle se retrouve devant son école, pile quand la sonnerie retentit et que les élèves affluent à l'intérieur. Elle pose son sac à ses pieds et souffle deux bons coups. Deux semaines de cours, puis elle ira à la mer avec mamie. Voilà le programme. Se forcer, redevenir vivante, puis relâcher la pression et se soigner aux côtés de celle qui la comprend le mieux. Mais parfois, pour guérir une blessure, il faut rouvrir la plaie. Le sac en main, elle s'engouffre dans la masse d'élèves en retenant sa respiration. Qu'est-ce qu'elle déteste ça, les bousculades d'entrée. Déjà qu'elle est minuscule, si en plus elle se fait propulser à gauche et à droite, le plaisir est loin d'être au rendez-vous.

En rentrant dans l'établissement, elle voit Emma, et Emma l'a vue. Liz n'est pas encore prête pour ça. Et la panique lui remonte au cerveau. Les toilettes, vite. Se faufilant entre les élèves scotchés devant leurs casiers, entre les rigolades et les quelques stressés qui hurlent des questions sur le contrôle du matin, elle finira par y arriver et plongera sa tête sous un filet d'eau glacée, respirant aussi vite que ses poumons ne lui permettent. En relevant la tête, elle revoit ces yeux livides, ce teint blafard. À quoi elle joue au juste. C'est la question qui lui traverse l'esprit. Comment aurait-elle pu croire qu'elle en était capable quand juste sortir la mettait dans tous ses états. Et surtout, quel lien avec ce drame, survenu un an avant. Elle se crispe suite à cette pensée. Pourquoi cette phobie sociale après un drame pareil. Tout est peut-être question d'attachement. A-t-elle peur que cela survienne à nouveau et qu'elle souffre de nouveau? Ou...pire. Ne vivait-elle pas grâce à l'histoire d'une autre personne, que le drame aurait balayé d'un vulgaire plat de la main? Avait-elle, elle aussi, perdu la vie dans ce drame? N'avait-elle jamais existé? Ou bien existait-elle seulement depuis le drame, indépendante de toute chose autour d'elle et livrée à elle même? Cette version d'elle qu'elle haïssait tant était-elle la vraie Liz? Là, elle craque. Elle pleure, s'enferme dans les toilettes, essaye de chasser ses pensées. Le bloc-note, vite. Elle avait pensé à tout malgré sa nature sensible. Elle savait qu'elle aurait besoin d'étouffer ses pensées. Alors, durant cette heure de cours, math normalement, elle ne rate rien d'important, elle écrit. Elle étouffe ses pensées qu'elle ne supporte plus, et sombre encore un peu plus, dans le paraitre et dans l'enfouissement de son malêtre, croyant le combattre.

Quand la sonnerie retentit, annonçant la prochaine heure de cours, Liz ferma son bloc-note. Elle avait su se calmer, elle avait pu éteindre son esprit malveillant envers lui même. C'est donc confiante qu'elle se dirigera vers le local où son cours d'anglais se déroulait. Elle arrivera quand même deux petites minutes en retard. En poussant la porte, la professeure s'interrompît.

"Oh! Parfait. Voici donc Liz Ankel, la plupart d'entre vous la connaissez déjà. Aujourd'hui elle fait l'effort de revenir, donc soyez tous fort aimable avec elle. Prends donc place Liz.."

Aimable. Tu parles. Tout ce que la jeune fille voulait, c'était disparaître, figée par les regards de compassion tout comme ceux qui la jugeaient. Elle scruta la classe de ses yeux et remarqua hélas encore des têtes qu'elle n'appréciait guère. Elle remarqua également que la seule place libre avait été réservée par son amie Emma, au fond de la classe. La jeune écolière traîna donc les pieds pour venir s'asseoir aux côtés de son amie.

"Où tu étais? Le prof de math s'inquiétait déjà à mort! Faut aller voir les éducateurs, et surtout prévenir que tu es là! On se faisait un sang d'encre..."
Elle marqua une pause en voyant que Liz ne sortait pas ses affaires et tenait juste sa tête entre ses mains.
"Ça va...?"
La réponse fut la même.
"Non."

Ainsi passa la journée. Liz restant machinalement à côté de Emma et s'éclipsant quand ses pensées revenaient prendre trop de place. En rentrant chez elle, elle ne fît même pas attention à son père, encore moins à son petit frère, et parti s'enfermer dans sa chambre. Se jetant sur son lit, elle n'écrira pas. Elle ne voulait pas penser. Elle voulait arrêter de faire comme si tout était à nouveau normal alors que rien ne l'était. Chacune de ses pensées lui rappelait ce qui s'était passé, il y a tout pile un ans, le vingt-deux mars 2016. Et chacune de ses pensées lui rappelait à quel point elle n'arriverait jamais à le surmonter.

Cette abominable prise de conscience en était de trop. La tristesse se faisait étouffer par une colère noire envers elle-même. Pourquoi était-elle aussi faible, aussi inutile, aussi dépendante des autres et de leur pensée, de leurs écrits..Alors, pour se punir, pour montrer et avouer qu'elle se détestait de ne pas être comme ceux qu'on interroge dans les reportages, qui surmontent les pires épreuves, elle se blesse, se griffe, se malmène. Tout ce qu'elle veut, c'est s'avouer, et s'autoriser à penser la vérité. S'autoriser à souffrir, sans forcément l'étouffer.

Dans les livresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant