5-Prisonnière (partie 1)

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Me remémorant les mises en garde de Miiko, je compris ce qu'il venait d'arriver, pourquoi j'avais pu si facilement me laisser berner : il m'avait manipulée, endormant ma vigilance, faisant naître le doute dans mon esprit, et je n'avais pu me rendre compte de sa malice qu'au moment où j'étais incapable de bouger sous peine de me faire douloureusement entailler la gorge.

J'aurais voulu dire à mes camarades toujours immobiles de ne pas céder à son chantage, malgré les risques que cela impliquait pour moi, mais je savais que c'était peine perdue, ils ne prendraient jamais le risque que je meurs, je leur étais bien trop précieuse vivante.

Ce constat m'attrista plus qu'il ne l'aurait dû, réalisant que la plupart d'entre eux ne tenait à moi que pour ce que je représentais et étais capable de faire, et non pour moi en tant que personne, pour qui j'étais.

Mais pas tous.

Je jetai un regard vers Orllea, qui ne tenait presque plus en place, cherchant une issue par tous les moyens. Elle réfléchissait si vite que je pouvais presque voir les rouages de son cerveau s'activer, mais je savais qu'elle ne trouverait pas de solution assez rapidement pour me permettre de m'échapper. Le dragon me rappela à l'ordre en me poussant sans ménagement en avant, m'ordonnant d'avancer vers la sortie, tout en conservant son étreinte autour de ma gorge.

La montée des escaliers et la traversée du QG, étonnamment désert, me semblèrent durer des heures, avant d'atteindre le refuge puis les jardins. Les rares membres que nous croisions ne comprenaient pas la situation (à juste titre) et tentaient d'intervenir mais, sur un signe de tête de Miiko, restaient en retrait.

Nous atteignions les portes, que nous franchirent bien trop aisément à mon goût, puis les plaines qui vallonnaient l'extérieur du QG assez rapidement, cependant, je sentais mon ravisseur devoir faire de plus en plus d'efforts pour me maintenir sous son emprise ou même simplement pour se tenir debout : il faiblissait à cause de ses blessures et, pour puissante que fut sa race, elle n'était pas indestructible. Je le sentais puiser dans ses dernières forces pour atteindre la plage où ses complices l'attendaient, et j'y vis ma chance : je ne pouvais rien faire sans risquer de me faire trancher la tête, mais je ne tenais pas à vivre sagement ma vie de captive non plus.

Profitant d'un nouveau vacillement de sa part, son emprise légèrement desserrée, je me collai à lui et glissai le long de son poignard, m'entaillant méchamment la gorge et la joue droite, ce qui m'arracha un gémissement de douleur, et me retrouvai face à face avec lui, sous ses yeux et ceux des membres de la garde ébahis.

Avant que quiconque n'ait pu faire le moindre mouvement, il m'enserra la gorge avec une poigne féroce et, très vite, je manquai d'air. Je me débattis férocement, frappant et griffant chaque partie de son corps que je pouvais atteindre avec toute la colère dont j'étais capable.

Perdant patience, et voyant Orllea se rapprocher à toute vitesse, il me frappa violemment la tempe avec le manche de son poignard. Aussitôt, ma vue se troubla, des points noirs dansaient devant mes yeux et je menaçais de m'effondrer à chaque instant. Il entoura mon cou de son bras, prêt à me briser la nuque face à toute nouvelle rébellion, mais j'étais trop sonnée pour essayer de résister et me laissai entraîner vers la plage, à demi-inconsciente, la tête dodelinant contre son bras.

Arrivés aux abords de la plage, une rangée de sirènes en armure sortie de l'eau, armées d'arcs qu'elles dirigeaient vers nos poursuivants et commencèrent à tirer dans leur direction.

« Non ... articulai-je faiblement, alors que la première rangée de flèches s'écrasait aux pieds d'Orllea, Valkyon et de Nevra, qui reculèrent vivement pour se mettre à couvert. »

Toujours aveuglée par la douleur qui me berçait dans un brouillard opaque, aux portes de l'inconscience, je sentis à peine l'eau atteindre mes cuisses puis mon ventre tandis que l'étreinte du dragon se relâchait et que quelque chose sembla me porter puis me hisser sur le bateau.

Je ne sentis à peine mon corps atterrir lourdement sur le sol dur du pont et cédai aux ténèbres qui me submergèrent.

*****

Le noir. Total. Complet. Infini et impénétrable. Confortable et captivant. Si épais qu'il devient palpable. Une matière douce, soyeuse, dans laquelle rester devient évident, nécessaire. Pourquoi quitter cette immensité duveteuse si agréable ? 

Soudain, un trouble à ce noir parfait. Le noir n'est plus tout à fait noir : il tire vers le gris, comme si quelque chose d'incroyablement lumineux en ternissait la puissance. Une lueur. Une lumière. Qui prend de plus en plus d'ampleur, jusqu'à devenir omniprésente, éblouissant de son éclat la pauvre créature qui baignait un instant plus tôt dans une douce quiétude.

Et avec la lumière revient la conscience. Elle se souvient de sa nature.

Et avec la conscience, tout à coup les sensations. Elle ressent la dureté du sol sur lequel elle repose. La brise qui fouette son visage. Les sons qui parviennent à ses oreilles sont ténus, indistincts, mais elle arrive tout de même à reconnaître des voix qui parlent à quelques pas d'elle.

Puis vient la douleur. Fulgurante. Immense. Terrible. Un mal de tête à vouloir retourner dans le noir qui était si doux. Le simple fait d'ouvrir faiblement les yeux lui coûte un effort qui la vide de toute son énergie. Elle referme les yeux et se laisse à nouveau entraîner dans les ténèbres.

Aversion (Lance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant