Chapitre 4 - La malédiction

6 1 0
                                    


Monsieur Monckton, mon majordome, dut me trouver bien misérable. J'étais allongé par terre à côté du fauteuil, blotti dans une peau de bête, la tête emmitouflée dans une collection de chapeaux que mon père avait ramenés de ses voyages. J'avais encore de la bave au coin des lèvres lorsque j'ouvris les yeux.

La majordome se tenait droit comme un mât, une main derrière le dos et l'autre tenant un petit plateau d'argent sur lequel figurait un petit morceau de papier plié en deux.

— Monsieur Hastings, un message est arrivé pour vous.

J'avais encore du mal à comprendre où j'étais. Dans ma tête, c'était le branlebas de combat au rythme de mille tambours – ma juste récompense après une soirée trop arrosée au gin. Essayant de garder un peu de contenance, je demandai d'où provenait la missive.

— C'est monsieur Picket qui nous l'a portée, un valet de la maison des Carryott.

Un message des Carryott ! Il ne pouvait s'agir que d'Olivia. Peut-être m'invitait-elle à la rejoindre, peut-être avait-elle changé d'avis et que l'idée d'une promenade sur les bords de la rivière Lea lui plaisait finalement. Je pourrais alors lui dire que rien n'est perdu, que je remonterais une affaire avec le capitaine Roberts ou avec un ancien associé de mon père, et alors nous pourrions nous marier comme nous le souhaitions. Peut-être pas cette année, mais l'année prochaine, oui, sans doute !

Je m'assis dans le fauteuil et ouvris le billet que me tendait monsieur Monckton.

Monsieur Hastings, il s'agissait bien d'une écriture de femme, mais ce n'était pas celle d'Olivia.

J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec monsieur Saint-Clair, votre notaire, qui se trouve être un vieil ami de notre famille. Il s'est exprimé sans détour. Je l'ai questionné au sujet des rumeurs qui tournent autour de vos finances et il m'a confirmé votre faillite. Par conséquent, et malgré tout le respect que j'ai pour votre famille, je n'ai d'autre choix que de rompre officiellement vos fiançailles d'avec Olivia. Je vous serais grée de ne point venir l'importuner et de nous éviter à l'avenir de nous confondre dans des situations embarrassantes qui pourraient nuire à notre réputation. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos démarches à venir.

C'était signé Grace Carryott, la mère d'Olivia.

Le billet me tomba des mains. Le majordome dut saisir la portée du message puisqu'il se retira discrètement me laissant seul à mon malheur.

Les vapeurs d'alcool dissipées, je me rappelai clairement les évènements de la veille : le doigt violacé du cadavre de mon père, la mine triste de miss Carryott, le discours du maudit matelot Mark Pigot, les révélations du capitaine Roberts au Red Horse, l'agression sur le chemin du retour, la lettre de mon père, et maintenant la rupture des fiançailles...

Un battement de cœur puis plus rien. Voilà à quoi se résumait mon malheur. Depuis la mort de mon père, ma vie avait basculé. Et maintenant quoi ? Le néant. Je perdais richesse de bourse et richesse de cœur. Olivia s'éloignait. Cette phrase se répétait en boucle dans ma tête. Je l'avais perdue pour de bon.

Je regardai le plafond et y repérai une poutre triangulaire. J'imaginai y faire passer une corde, la nouer autour de mon cou, et faire basculer sous mes pieds le petit présentoir sur lequel j'avais trouvé le coffre.

C'est alors que le majordome apparut dans la pièce avec une théière et deux tasses sur un plateau.

— J'ai pensé que monsieur avait besoin de réconfort, dit-il simplement.

Monsieur Monckton avait un don d'empathie particulièrement développé, et sans doute avait-il perçu mes idées noires. Il était dans la famille depuis tant d'années qu'il était pour moi comme un oncle. Et ce lien allait se briser à cause d'une histoire de trésorerie. J'allais bientôt ne plus pouvoir payer son salaire, j'allais devoir me séparer de lui et cela me brisa le cœur.

Le Secret de L'ÉpervierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant