Chapitre 9 - Le châtiment

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Lorsque j'étais enfant, mon père – les quelques fois où il restait en Angleterre le temps de préparer son prochain voyage – prenait un malin plaisir à me raconter ses aventures les plus effrayantes avant de m'endormir, et l'une d'elles m'avait particulièrement terrifié : il avait rencontré l'un de ses compatriotes au large de l'océan atlantique, toutes voiles affalées, ancre jetée, avec l'ensemble de l'équipage réuni sur le pont. Pensant le navire en rade, mon père l'avait accosté sans penser une seconde que le vieux capitaine s'adonnait à l'un des pires châtiments à bord. C'est ainsi que je découvris le supplice de la cale : d'abord, on leste le malheureux de bourses remplies de plombs ou de sable, puis on lui attache les pieds et les mains à une corde. Ensuite on le monte jusqu'à la vergue du grand mât. De là, on le pousse dans l'eau la tête la première. Il arrive parfois que le marin s'assomme et se noie, selon la volonté de Dieu. Le malheureux est ensuite hissé par l'équipage à bord et, selon la gravité de sa faute, il s'en va pour un second saut.

C'est avec ces images de torture que j'arrivai sur le pont accompagné du capitaine Roberts, ma vision à moitié brouillée par la fièvre. Nous trouvâmes le lieutenant Gage à genoux, pieds et mains liés, gardé par deux marins. Voir un homme que je considérai comme un ami dans une telle posture me fendit le cœur. Lorsqu'il nous vit, il clama immédiatement son innocence.

— Messieurs, je vous en prie, sortez-moi de ce traquenard, je suis victime d'une injustice !

— Ne vous inquiétez pas lieutenant, on va vous faire libérer, le rassura Roberts avant de se diriger d'un bon pas vers le capitaine Cooper.

Celui-ci veillait à la préparation du châtiment. Il ordonna à deux de ses hommes de courir aux cales chercher des cordages et des boulets de canon pour le lest.

— Cooper ! appela Roberts.

Le capitaine, s'attendant à nous voir venir plaider la cause du lieutenant, laissa les hommes à leurs tâches et vint à notre rencontre.

— J'vous avais promis une punition exemplaire, dit-il, nous y voilà.

— Mais enfin, vous avez complètement perdu la boule ? s'emporta Roberts. Ce n'est pas le lieutenant Gage qu'il faut punir, et vous le savez bien ! Votre homme l'a attaqué et William n'a fait que se défendre.

— C'est la vérité, abondai-je. Je l'ai vu de mes yeux, j'étais à côté de vous.

— Il s'est contenté de le repousser ! appuya Roberts.

— 'l'a fait couler le sang sur mon navire, il doit s'en repentir. J'tolère pas ce genre de chose, pas plus que vous l'auriez toléré sur votre vaisseau, pas vrai, m'sieur Roberts ?

— Vous ne tolérez pas ce genre de chose ? La mutinerie, pourtant, vous la tolérez, non ?

— Mes hommes sont libres d'manifester leur mécontentement et de discuter les ordres. Ça doit en aucun cas s'terminer dans un bain de sang. Vot' lieutenant a manqué de maîtrise.

— Manqué de maîtrise ?

— Capitaine, intervins-je calmement, la sanction n'est-elle pas disproportionnée ? (Je fus pris d'une violente quinte de toux. J'eus l'impression que mes poumons allaient ressortir par ma cage thoracique.) Vous avez ordonné un seul coup de fouet à l'encontre de vos hommes hier.

— Deux poids, deux masures... grogna Roberts sans se rendre compte qu'il venait de modifier l'expression.

— N'est-il pas possible d'adapter la punition ?

— 'pas la même chose. Mes hommes n'avaient agressé personne. Mais vous avez ma parole, je serai clément avec votre officier : il n'y aura qu'un seul tour.

Le Secret de L'ÉpervierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant