R O U T I N E

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Une petite routine s'installe rapidement la semaine suivante. Nous sortons au parc le matin tous les quatre. Les plus jeunes jouent pendant qu'Abby et moi attendons sur un banc. Elle lit, je surveille. Nous rentrons ensuite déjeuner à la maison avant que Ginny n'aille à la sieste. Je ne croise pas Easton et Abby ne me parle de rien. Elle ne parle ni du mot, ni de son oncle. Je n'utilise pas le téléphone. Il est toujours dans ma table de nuit, dans son emballage, avec le poème. Le mercredi, j'emmène Trevor à la patinoire pour qu'il s'entraîne avec son équipe, Ginny m'accompagne pendant qu'Abby va à la gymnastique. 

Après l'entraînement, Abby me demande si on peut s'arrêter dans une librairie. J'achète un livre pour chacun et l'aînée décide d'en prendre un en français. Elle me dit qu'elle arrive mieux à apprendre une langue en lisant un livre. Je suis d'accord. Elle pourra me demander la traduction et si je ne l'ai pas, on regardera ensemble sur internet. 

J'envoie des mails à mes parents pour les rassurer. Je n'ai plus de téléphone et je ne veux pas qu'il s'inquiète. Ils ont déjà vu la vidéo, comme le monde entier et il ne parle que de ça sur les chaînes sportives. Je suis mortifiée et Kera le sait. Elle n'en parle pas et Jordan tente encore de me recruter. Je ne sais pas si je vais refuser encore longtemps. Le poste qu'il me propose est une opportunité qui ne se représentera pas de sitôt. Mais je ne veux pas abandonner les enfants. 

Les soirs, Kera prend le relai avec les enfants et j'ai un peu de temps pour moi. Josh n'arrête pas de m'écrire. Je lui réponds quand je peux. Il pense que j'ai pris le téléphone que m'a offert Easton et je ne veux pas lui dire que je ne l'ai pas fait. Il est plutôt mignon à m'envoyer des messages régulièrement mais je ne sais plus quoi penser. Je suis perdue. 

Nous sommes à présent vendredi et Jordan rentre avant Kera. Il me regarde avec un sourire en rentrant et me tend un dossier. 

- Est-ce que tu peux me dire ce que tu en penses ? demande-t-il joyeusement. 

Je fronce les sourcils et ouvre l'enveloppe. À l'intérieure, une publicité pour Montgo & Cie. Je me rend compte qu'il travaille dans la télécommunication. C'est une grand-mère qui serre un garçon de mon âge dans ses bras. Il est écrit "N'attendez pas de voir vos grand-parents pour leur donner des nouvelles". Je tords la bouche. Cette photo n'est pas en adéquation avec le texte... 

- Qu'est-ce qu'il y a ? demande-t-il soudain soucieux. 

- Je n'aurais pas mis ce texte, j'annonce. 

- Vraiment ? 

- Non. J'aurais plutôt mis un téléphone avec une SMS qui dis "Mamie, tu es chez toi ? J'arrive." 

Il réfléchi, regarde la photo et déclare. 

- Tu as raison. Je vais changer ça demain. 

- Je... Non ! C'est juste mon point de vue, Jordan. Je ne veux pas que vous changiez votre campagne parce que je ne suis pas à 100% sûre de celle-ci. 

- Je t'ai dit que je voulais que tu travailles pour moi, Charlotte. Tu ne veux pas alors je passe par d'autres moyens. 

Je soupire et détourne le regard. Il pose sa main sur mon épaule ce qui me fait sursauter. Il n'a pas l'habitude d'être aussi tactile. 

- Tu seras très bien payée et tu auras des meilleures horaires que moi. 

- Mais je n'ai que vingt-trois ans. Je ne peux pas être à la tête d'un département de marketing. Surtout pas dans une aussi grosse entreprise que la vôtre. 

Il fait claquer sa langue sur son palet. J'ai envie de lui dire qu'il ne devrait pas faire ça mais ça serait mal venu. C'est tout de même mon patron. 

- Je ne parle même pas parfaitement anglais. Vous voulez vraiment une femme qui ne sait pas parler votre langue à la tête de votre marketing. 

Il éclate de rire. 

- Et si on disait que tu passes les trois mois ici, à garder les enfants, qu'ils t'apprennent les rudiments de notre langue pendant que tu leurs apprends la tienne. Ensuite, à la rentrée des classes, on n'aura plus besoin de toi ici. Tu n'auras plus qu'à accepter le poste que je n'arrête pas de te proposer. 

La proposition est vraiment alléchante. C'est une expérience incroyable. Montgo & Cie est une des plus grandes entreprises de l'État. Je soupire et déclare : 

- Je vais y réfléchir, j'annonce. 

Il frappe dans ses mains ce qui annonce son arrivée aux enfants qui n'avaient pas encore fait attention à lui. 

- Allons faire une surprise à maman en préparant le dîner ! Elle a eu une longue journée, elle a bien besoin de repos, ce soir, déclare-t-il, heureux comme un pape. 

Je souris en secouant la tête. 

- C'est Oncle Easton à la télé ! hurle Trevor qui est reparti dans le salon. 

Nous allons tous le rejoindre et voyons, en effet, le visage d'Easton souriant et rayonnant sur l'écran géant du salon. Il est rasé de près, porte un sweat a capuche gris tout simple. Ses yeux bleus sont rieurs lorsqu'il parle de sa saison et de la manière dont il voit la saison prochaine. 

- Qu'est-ce que c'est un "rookie" je demande. 

- C'est un débutant en NHL, déclare Trevor en restant concentré sur l'interview. 

Le journaliste rit à une phrase d'Easton que je n'ai pas comprise. Ou pas entendue. 

- Vous êtes le centre de l'attention, ces derniers jours. 

Easton baisse la tête. Il sait de quoi il va parler, maintenant. 

- Qui est cette jeune femme ? demande le journaliste. 

Easton hausse les épaules. 

- Merde, souffle Jordan à côté de moi. 

- Je n'aime pas parler de ma vie privée, déclare Easton froidement. 

- Oui, mais là, vous êtes obligé, Easton, insiste l'homme en face de lui. 

Easton se redresse un peu sur sa chaise. Je vois que l'interview est en direct. 

- C'est une fille que j'ai rencontré il y a peu, déclare-t-il simplement. 

- Il va falloir que vous nous en disiez un peu plus. Il paraît qu'elle a rembarré un type qui parlait mal d'elle... 

Easton sourit. 

- C'est une lionne. Elle ne se laisse pas faire. 

- Elle est française ? demande l'homme ce qui met Easton mal à l'aise. 

Il passe sa main dans ses cheveux et s'humecte les lèvres. 

- Pourquoi vous me posez des questions si vous savez déjà tout ? plaisante-t-il. 

- Ce sont des sources anonymes, il faut bien que je les confirme, réplique le journaliste. J'ai un nom. Est-ce que je le donne ? 

- Non. Pas la peine, répond Easton du tac au tac. 

Il serre les mâchoires et son regard n'est plus du tout rieur. Je serre les dents, moi aussi. Abby me regarde, Jordan me regarde. Je sais que je suis cuite. 

- Nous avons terminé. Embrassez bien Charlotte Marchandeau de notre part. 

Je ferme les yeux. C'est un cauchemar. 

Le feu et la glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant