Chapitre troisième

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        Haine : le mot est lâché. Dans quelques heures, un avion aura explosé suite à mon intervention. Malgré mes précautions, on ne s'en tirera pas à moins de cent morts. Des victimes innocentes, je l'écris sans ironie. Qui suis-je pour stigmatiser la haine éprouvée par les autres ?

        J'ai besoin d'écrire ceci à ma propre intention : je ne suis pas un terroriste. Un terroriste agit au nom d'une revendication. Je n'en ai aucune. Je ne suis pas mécontent de me distinguer radicalement de cette pègre qui cherche un prétexte à sa haine.

        Je hais la haine et pourtant je la ressens. Je connais ce venin qui s'inocule dans le sang en une morsure et qui infecte jusqu'à l'os. L'acte que je m'apprête à accomplir en est l'expression pure. Si c'était du terrorisme, j'inventerais à ma haine un déguisement nationaliste, politique ou religieux. J'ose dire que je suis un monstre honnête : je n'essaie pas de donner à mon exécration une cause, un but ou des lettres de noblesse. Affubler un dispositif de destruction d'un motif, quel qu'il soit, me répugne.

        Depuis Troie, personne n'est dupe : on tue pour tuer, on brûle pour brûler, on ne doute pas de trouver ensuite une légitimation. Ceci n'est pas une tentative de justification puisque personne ne me lira, un désir intime de clarifier les choses : si prémédité soit-il, le crime que je vais perpétrer est à cent pour cent pulsionnel. Il m'a suffi de conserver intact l'élan de ma haine, de ne pas le laisser s'affadir et ralentir et s'affaiser en un faux oubli de pourriture.

        Après ma morte imminente, on me traitera de ce que je ne suis pas et il m'importe peu de ne pas être compris de qui je méprise. Mais le mal a son hygiène et la mienne me pousse à dire que suite au crash aérien, je serai un salaud, une ordure, un cinglé, une raclure - tout sauf un terroriste. On a sa coquetterie.

        Il ne s'agit pas non plus de donner un sens à ma vie : elle n'en manque pas. J'avoue ma sidération face à ces gens innombrables qui, s'il faut les en croire, souffrent du peu de sens de leur existence. Ils m'évoquent les élégantes qui s'écrient, devant une garde-robe fabuleuse, qu'elles n'ont rien à se mettre. Le simple fait de vivre est un sens. Vivre sur cette planète en est un autre. Vivre parmi les autres en est un supplémentaire, etc. Déclarer que sa vie n'a pas de sens, ce n'est pas sérieux. Dans mon cas, il serait exact de dire que jusqu'ici ma vie n'avait pas d'objet. Et je m'en trouvais bien. C'était une vie intransitive. je vivais de façon absuolue et j'aurais pu continuer ainsi à plein contentement. C'est là que le destion m'a rattrapé.

        Le destin habitait un appartement sous les toits. Depuis deux ans, mon métier consiste à apporter, à ceux qui viennent d'emménager, des solutions énergétiques qu'ils n'ont pas demandées. En fonction des installations - devrais-je dire des désastres ?-, j'oriente vers EDF ou GDF, dont je suis vaguement l'employé ; je calcule et octroie des crédits quand je tombe sur des situations sociales auxquelles l mot de précarité ne convient plus. J'exerce cette tâche à Paris et j'ai eu plus souvent qu'à mon tour l'occasion de vérifier ce que les gens sont capables d'endurer pour habiter cette ville.

        Par un reste de pudeur, d'aucuns m'affirment que le délabrement de leur logis ne durera pas : "Nous venons d'arriver, vous comprenez." J'opine. Je sais que dans l'immense majorité des cas, il n'y aura aucune amélioration : le seul changement consistera à accumuler un fatras qui recouvrira le tohu-bohu des origines.

        La version officielle est que j'aime ce métier parce qu'il me permet de rencontrer des individus surprenants. Ce n'est pas faux. Il serait néanmois plus exact de préciser que cette fonction nourrit mon indiscrtion naturelle. J'aime découvrir la vérité des lieux de vie, les bouges effarants auxquels les humains consentent de s'accommoder.

        Il n'entre aucun mépris dans ma curiosité. Quand je vois ma propre turne, je ne pavoise pas. J'ai seulement conscience de mettre le doigt sur un secret inavouable qui n'a rien d'un détail : notre espèce n'est pas mieux logée que les rats. Dans les publicités, les films, on voit des êtres se mouvoir en des lofts somptueux ou des boudoirs délicats. En deux ans de carrière, je n'ai jamais vu personne emménager dans ces splendeurs d'outre-monde.

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Voilà, l'intrigue commence doucement à se retirer, nous allons bientôt comprendre (et non pas savoir) pourquoi Ashton aimerait faire ce crash aérien.

Je tiens à vous remercier, vous, les lecteurs, d'être toujours présents, je ne vois pas de grosse diminution dans les lectures et ça me va droit au coeur, car je sais qu'à la base, Amélie Nothomb n'est pas l'auteur la plus simple à lire et que ces écrits ne plaisent pas à tout le monde.Je ne vous l'ai pas dit dans les chapitres précédents mais la publication des chapitres se fera entre 1 et 2 par semaine, le samedi en général, et parfois le mercredi.

Merci énorménent (: !

PS : Je suis sortie hier soir, et je me suis brûlée deux doigts en voulant rattraper une cigarette (ne riez pas s'il vous plaît (': ), ma main est donc bandée car je n'arrive plus à les bouger et il me faut plus de temps pour taper au pc, mais ne vous inquiétez pas, il n'y aura pas d'impact sur l'histoire (:

M.Kay

Le Voyage d'hiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant