Chapitre septième.

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   Tomber amoureux l'hiver n'est pas une bonne idée. Les symptômes sont plus sublimes et plus douloureux. La lumière parfaite du froid encourage la délectation morose de l'attente. Le frisson exalte la fébrilité. Qui s'éprend à la Sainte-Luce encourt trois mois de tremblements pathologiques.

   Les autres saisons ont leurs minauderies, bourgeons, grappes et feuillages où engouffrer ses états d'âme. La nudité hivernale n'offre aucun refuge. Il y a plus traître que le mirage du désert, c'est le fameux mirage du froid, l'oasis du cercle polaire, scandale de beauté rendu possible grâce à la température négative.

   L'hiver et l'amour ont ceci de commun qu'ils inspirent le désir d'être réconforté d'une telle épreuve; la coïncidence de ces deux saisons exclut le réconfort. Soulager le froid par la chaleur écoeure l'amour d'une impression d'obscénité, soulager la passion en ouvrant la fenêtre sur l'air vif envoie au tombeau en un temps record.

   Mon mirage du froid s'appelait Astrolabe. Je la voyais partout. Les interminables nuits hivernales qu'elle passait à grelotter dans son antre sans chauffage, je les vivais mentalement avec elle. L'amour interdit la fatuité : au lieu d'imaginer le feu que mon corps aurait pu donner au sien, je dévalais les degrés avec la dame de mes pensées, il n'y avait pas de limite à la brûlure glacée que nous pouvions atteindre ensemble.

   Le froid n'était plus une menace, mais une puissance impérieuse qui nous animait, qui parlait en son nom : "Je suis le froid et si je règne dans l'univers, c'est pour un motif si simple que nul n'y a songé : j'ai besoin qu'on me ressente. C'est le besoin de tout artiste. Aucun artiste n'a si bien réussi que moi : tout le monde et tous les mondes me ressentent. Quand le soleil et les autres étoiles se seront tous éteints, moi je brûlerai encore, et tous les morts et tous les vivants éprouveront mon étreinte. Quel que soient les desseins du ciel, la seule certitude est que le dernier mot me reviendra. Tant d'orgueil n'empêche pas l'humilité : je ne suis rien si l'ont ne me ressent pas, je n'existe pas sans le frisson des autres, le froid aussi a besoin de combustible, mon combustible est votre souffrance à tous pour les siècles des siècles."

   J'endurais bravement le froid, non seulement pour partager le sort de ma bien-aimée, maos aussi pour offrir mon hommage à l'artiste universel.


   Je me relis avec stupéfaction : ainsi, celui qui dans quelques heures va faire exploser un avion chargé d'une centaine de passagers, quand il a l'occasion d'écrire ses pensées ultimes, verse dans le lyrisme le plus éperdu.

   A quoi bon commettre un attentat si c'est pour lamartiniser comme le premier venu ? A la réflexion, je me demande si je ne tiens pas là une clé : ceux qui se lancent dans l'action directe espèrent y trouver une virilité qui leur manque. Le sort du kamikaze pérennisera le malentendu. Des mères illettrées se rengorgeront : "Mon fils n'était pas une fillette, c'est lui qui a détourné le Boeing de la Pan Am.." Encore heureux que mes notes périssent avec moi, c'est le genre de secret dont il vaut mieux ne pas se vanter.

   C'est évidemment Astrolabe que je cherche à épater. Je sais déjà que ce ne sera pas le cas je vais au-devant de mon échec avec un courage stupide. Parfois, il faut agir même en ayant l'assurance de ne pas être compris.

   Il et 10h45. Je me réjouis d'avoir le temps de continuer ce récit dans lequel je me sens. Se sentir bien est une ambition absurdement exagérée. quand se sentir est déjà si rare. Ecrire convoque un important segment du corps : c'est une application physique de la pensée. Depuis quelques semaines, je sais que je vais provoquer un crash aérien, j'organise l'affaire. Ce qui est neuf, c'est que je l'écris. Eh bien, l'écrire, c'est beaucoup plus fort que de le concevoir dans sa seule tête.

   Le mieux serait de l'écrire après. Hélas, on n'écrit pas d'outre-tombe. Tout le monde le regrette. Il n'y aura pas de survivant, donc personne ne pourra raconter comment je m'y suis pris. Du reste, c'est peu intéressant.

   Ils sont énervants avec leurs consignes de sécurité à la noix. En vérité, quelles que soient leurs interdictions, il y aura toujours un moyen facile de détourner un avion. L'unique principe de précaution valable consisterait à supprimer l'aviation. Comment le terroriste de base pourrait)il ne pas rêver d'accéder, d'une manière ou d'une autre, à ces fabuleux engins volants ? Terroriste de train, de bus ou de dancing, c'est minable. Le terroriste aspire forcément au ciel - la plupart des kamikazes y aspirent doublement, anticipant leur séjour dans l'au-delà. Terroriste terrestre, cela a un côté marin d'eau douce.

   Jamais terroriste n'a agi sans idéal - idéal atroce, idéal tout de même. Que ces nuées soient des prétextes n'y change rien : sans le prétexte, il n'y aurait pas de passage à l'acte. Le terroriste a besoin de cette légitimité illusoire, particulièrement s'il est kamikaze.

   Cet idéal, qu'il soit religieux, nationaliste ou autre, prend toujours la forme d'un mot. Koestler dit avec raison que ce qui a le plus tué sur cette, c'est le langage.


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Bonjour/bonsoiiiir!

Petit chapitre cette fois-ci! Je m'y suis prise à l'avance car sinon, je pense que je ne savais pas poster (comme dit dans la nouvelle fiction "Seuls au monde").

J'espère que ce chapitre vous a plu, on en apprend un peu plus sur la raison d'Ashton de commettre son acte!

Nous nous retrouvons mercredi pour un prochain chapitre!

Bisous;

MKay.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 04, 2015 ⏰

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