J'avais environ huit ans et j'étais partie avec ma mère pour son entraînement annuel. Mon père, lui, était resté à la maison pour accueillir Yoda qui s'était fait quitter pour la énième fois par sa femme.
Mes souvenirs de cette époque sont vagues mais je me rappelle avoir regardé ma mère boxer un punching-ball pendant des heures et des heures. Chaque coup qu'elle portait était différent et mieux placé que le premier. Un vieil homme assis en tailleur à côté de moi, sur le bord du tatami, passait son temps à lui donner des conseils d'une voix grave teintée d'un accent vietnamien assez prononcé. Je me souviens précisément des gestes de ma mère qui m'avaient impressionnés.
C'est alors que son mentor s'était levé et s'était placé en position de combat devant elle. Il avait attaqué le premier et ma mère avait bloqué son poing d'une main. Cependant, l'autre bras de l'homme était passé au travers des défenses de celle-ci pour venir la frapper à un point stratégique. Elle s'était effondrée d'un coup.
- Si tu veux réussir tes coups ! avait-il tonné en brandissant son bras frêle. Ce n'est pas la force qu'il te faut, mais la vivacité d'esprit et la réactivité des muscles. Tu dois être connectée à ton corps. Vous ne devez faire qu'un, ce ne doit pas être la chose lourde que tu traînes derrière toi comme un fardeau. Bien sûr, il y a les points stratégiques à toucher, le sternum, ou les côtes, mais avant tout, pour passer au travers des barrières que se crée ton adversaire tu dois manier ton corps comme tu l'entends. Il ne doit pas y avoir de limites et tu pourras vaincre une armée à toi toute seule.
Ma mère s'était relevée péniblement et s'était replacée en position de combat. Je ne me souviens plus du reste car je m'étais sûrement endormie. Mais par la suite, elle avait réussi presque tous ses affrontements contre ses adversaires.
Lorsque mon esprit revient à la réalité, je me rends compte que mon géniteur a avancé d'un pas et pointe son arme vers moi d'un geste menaçant. Un rictus terrifiant se dessine sur son visage et ses cheveux bruns d'habitude parfaitement peignés sont à présent ébouriffés à la diable comme si il s'était pris un coup d'électricité.
- Vous faites peur à voir ! je lance en ricanant de manière à le distraire.
- Tais toi... petite sotte, grogne-t-il d'une voix caverneuse.
- La dernière fois, j'ai perdu au corps à corps mais je ne me ferais pas avoir à nouveau.
Sans me laisser le temps de réagir, il se précipite vers moi toute pointe dehors et un affrontement hargneux débute. Je tire brutalement ses cheveux et il se retrouve ainsi à genoux. Puis, il me répond en me balayant avec son pied. Je me tortille pour échapper à son poids qui me bloque au sol puis esquive un coup vers son point sensible. Il hurle et me roue de ses poings soudain maladroits a cause de la douleur. J'en profite pour me relever sur mes deux pieds et le frapper de ceux-ci. Sa main agrippe alors ma jambe et je glisse. Ma tête frappe le sol et je me sens cotonneuse. Le temps que je reprenne mes esprits, il est au dessus de moi. Son couteau luisant va s'enfoncer dans ma poitrine. Est-ce là, ma mort héroïque ? Pourquoi n'ai-je pas utilisé la technique du maître vietnamien ?
J'entends soudain une voix dans mon esprit :
« Tu dois être connectée à ton corps, vous ne devez faire qu'un ! »
Je sens le poignard entrer lentement dans ma chaire. Mon visage se mouille mais ce ne sont pas mes larmes. Ce sont les siennes. Il pleure.
Je ressent une hésitation soudaine à tirer ce moment de faiblesse à mon profit. Il faut faire un choix.
Mon corps se met alors en mouvement. Mon esprit se fond dans chaque parcelle de peau, dans chaque organe et en une seconde. Je retourne la situation à mon avantage. Sans attendre, je plante mon couteau dans la peau de mon géniteur.
- Pardonnez-moi... murmuré-je en sentant les larmes me piquer les yeux.
- Je... je suis désolé de ne pas avoir été un bon père pour toi, soupire-t-il en crachant du sang. Si seulement j'avais été là à ton premier anniversaire ainsi qu'à tous les autres. Tu es mon plus grand regret dans la vie. J'aurais voulu te dire que je t'aime mais en vérité... je ne sais pas ce qu'est l'amour.
Ses larmes se mêlent à son sang et coulent le long de ses joues pour s'échouer au sol. Et les miennes commencent malgré moi à couler. J'ai envie de jeter ce couteau très loin, de tout recommencer à zéro mais...
- Ça n'enlèvera en rien toutes les erreurs que vous avez commises. J'espère que vous trouverez la paix dans la mort. Adieu.
- ... Avant de mourir... je dois te dire une chose. Tu... as... un frère... Pardonne-moi.
- Je vous pardonne.
C'est ainsi qu'il rendit son dernier souffle, dans les bras.
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Le voyage scolaire
AdventureAmelune et sa classe doivent partir en voyage scolaire pour quelques jours en Bretagne. Mais l'assassinat de leur professeur et du chauffeur de bus va changer leurs plans du tout au tout. De jeunes collégiens attardés ils vont passer à guerriers en...