Je suis lâche

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Avant de téléphoner à mon allié incongru, je file dans la salle de bain, entièrement blanche, décorée çà et là de petites mosaïques bleues de style antique. Je suis tellement tendue et fatiguée que je décide de prendre un bon bain chaud, j'ai le temps de toute manière : Il n'est que 19h30 et le repas est servi à 21h.

La baignoire en forme de coquillage est magnifique : des dorures ornent ses pieds et des petites fleurs semblent dessinées à la main sur la coque. Lorsque celle-ci est remplie, je vide les flacons de mousse et autres sels de bains à l'intérieur. Une odeur suave se dégage grâce à la vapeur d'eau brûlante. Je pose un pied dans le fond du bassin, puis l'autre. Le liquide est trop chaud, il me semble fondre. Cependant, je continue à couler dans le bain. Lorsque j'y suis entièrement plongée, je prends une grande inspiration et ferme les yeux. Une douce léthargie s'empare de moi. Je ne bouge plus, je ne pense plus. Seul le clapotis de l'eau se fait entendre engendrés par ma respiration régulière.

Le temps passe, vite, trop vite, et lorsque je sors du bain, molle comme du caoutchouc, prête à m'endormir sur place, l'eau est devenue froide. Il est 20h30 et je n'ai plus que 30 min pour me sécher, m'habiller, appeler le chirurgien et descendre manger avec mon frère. L'adrénaline que je ne ressentais plus il y a quelques instant se remet à courir dans mes veines. Je m'essuie rapidement et enfile les vêtements propres qu'on m'a déposé. Il y a une paire de collants, des ballerines, des sous-vêtements, une robe noire assez chic, pailletée et brodée de fleurs sur les manches et un gilet en laine crème. Vêtue, je me dirige vers le téléphone et l'attrape les mains tremblantes. Je sors la carte de ma poche et compose le numéro. Ça sonne... Lorsque la personne décroche, je me mets à débiter un flot de paroles insensées :

- Bonjour Pierre, j'espère que tout va bien de ton côté. C'était juste pour te dire que j'allais bien. Je vais aller manger. Bisous !

Personne ne m'a rien dit mais je sais que c'est une feinte. Je raccroche et me dépêche de descendre jusqu'à la salle à manger. J'aurais sûrement dû coder un message mais j'étais trop bouleversée pour cela. Pierre... il m'est venu tout de suite lorsque j'ai pensé à une personne à qui je voulais m'adresser...

Je me frappe violemment les joues, ce n'est pas le moment de tomber dans la mélancolie !

Lorsque j'arrive dans la salle à manger, je ne suis plus étonnée du luxe ostentatoire, cependant, mes yeux ne cessent de regarder dans tous les sens. Des milliers de lustres ornent le plafond si bien qu'on ne distingue plus celui-ci. Les murs sont verts émeraude décorés de dorures et de tableaux abstraits dans les mêmes tons. Les tables noires et de forme ronde semblent en bois précieux. Je repère mon frère assit à l'écart des autres convives. Je ne pensais pas manger avec lui mais qu'importe. Je me dirige vers celle-ci et m'installe tout en lui demandant d'une voix assurée :

- Alors le projet, ça avance ? Et quand est-ce qu'on arrive à Genève ? Je m'ennuie... Vous n'avez pas l'air très sûr de vous.

J'essaye de le déstabiliser et je crois que ça fonctionne, à moins qu'il ne soit simplement agacé.

- Je sais très bien ce que je fais. Nous partons demain, à 10 heures, le temps que je règle quelques affaires. Je te conseille de dormir suffisamment cette nuit. Et d'arrêter de m'importuner !

- Quelle genre d'affaires ? je demande en souriant malicieusement.

- Je dois entrer en contact avec le banquier pour le prévenir de la transaction.

- Très bien.

Quand j'y pense... Cela me fait de la peine de devoir à nouveau me dresser contre quelqu'un qui partage mon sang. Je regrette à chaque seconde d'avoir découvert tout ça. Ma confiance que j'avais en les autres, en mes parents, en mes amis, tout ça est remis en cause parce que je me dis qu'il y a tant de secrets que je ne sais peut être pas. Comment faire lorsqu'on se méfie de tout et des gens parce qu'ils pourraient nous trahir ? Et comment ferai-je pour vivre après ça ? Ce chaos... Je dois sauver le monde mais... Après ? Je ne me vois plus vraiment reprendre une vie normal.

- Ça passera avec le temps, soupire mon frère comme si il lisait dans mes pensées.

- Quoi ? je m'exclame, stupéfaite.

- Cette impression que tu ne peux faire confiance à personne et qu'on te cache des choses. Tu t'y habitueras.

- Comment avez-vous ... ?

- Je pensais à la même chose. Notre enfance fut un mensonge perpétuel, nous avons vu des horreurs.

Je ne pu m'empêcher de m'écrier :

- Mais alors pourquoi voulez-vous sacrifier la vie de millions de personnes pour votre projet !

Je mis ma main devant ma bouche, consciente d'avoir fauté.

- Parce que c'est la seule chose qui me stimule, qui me retient en vie ! Crois-tu que ces millions de personnes m'ont aidé lorsque j'étais plus jeune à faire le deuil de ma mère ? Crois-tu qu'ils en avaient quelque chose à foutre de moi ? Tu es vraiment idiote de croire que tout le monde est beau et gentil, le monde est méchant, les gens sont des abrutis prêts à tout pour amasser de l'argent ! Et voilà ! Le piège se refermera sur eux ! Plus de pognon ! Plus rien ! Obligés de s'entretuer ! Ça sera leur châtiment ! Même toi, même toi, ma petite sœur, je sais que tu tenteras de me trahir parce que tu voudras l'argent. Tu essayeras de me tuer comme tu as tué notre père.

- Je ne suis pas une meurtrière et je ne vous volerai pas l'argent. Écoutez... Il est encore temps de rejoindre le bon côté... venez avec moi ! Dans ma ville, vous pourrez trouver un emploi, un partenaire et vivre heureux ! Il y a des gens méchants mais aussi des gens gentils. En fait, chacun a sa part de bonté. Nous avons été élevé dans un milieu de mort perpétuelle où nous a avons vu les pires travers de l'Homme. Mais c'est fini, prenez l'exemple de ma mère, elle est devenue une femme bien. Vous pouvez faire de même !

- Mais je n'ai rien, pas de famille, pas d'amis, pas de vie ! Ma vie, c'est ma vengeance contre le monde. Je me suis voué à cette cause ! hurla-t-il, faisant sursauter tous les clients.

- Eh bien changez de cause ! Essayez de faire en sorte que les gens soient gentils ! Vous pouvez devenir professeur pour éduquer les enfants ou faire parti d'une association ! Tout est possible !

- Ferme là, espèce d'abrutie ! Je veux réaliser ce projet, sinon je m'en voudrai toute ma vie.

- Et après ? je demande en baissant d'un ton pour calmer le jeu. Après votre vengeance ? Que ferez-vous ?

- Je... Je ne sais pas, soupire-t-il, penaud.

- Vous voyez ? C'est con hein ? Vous vous rendez compte que vous êtes con ? Arrêtez donc d'être comme ça et servez vous de votre tête.

- C'est impossible. Je...

- Vous savez très bien que c'est possible. Vous le savez mieux que moi.

Mon frère se mit à pleurer. Je fût étonnée de sa réaction et lui tendit un mouchoir.

- Amelune... J'ai le même défaut que Papa, je suis lâche. Je crois que c'est le pire défaut de l'homme...

- Tout le monde est lâche, tout le monde est égoïste, il faut cependant vivre avec ça. Sans la noirceur, on ne saurait pas ce qu'est la beauté, l'amour. Un peu comme la genèse, je crois qu'Adam et Ève ne pouvaient pas être heureux sans avoir la connaissance des choses, ils n'avaient pas de comparaison.

- Je crois au contraire qu'ils étaient heureux, mais ils ne s'en rendaient pas compte. Personnellement je préfèrerai être ignorant, soupire mon frère entre deux sanglots.

- Comment tu t'appelles ? je demande soudain.

- Rodrigue, ricane-t-il, c'est nul comme nom n'est-ce pas ? J'ai été harcelé à cause de ça.

- Justement, il est chouette. Tu n'avais même pas un ami ?

- Ambroise. C'était plus qu'un ami... Mais il s'est marié.

Le voyage scolaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant