1 - Tout à un commencement

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Courir. Un instinct. Une nécessité.
La fillette courait dans les bois. Les bras tendus devant elle elle repoussait les buissons, arbustes et autres broussailles. Elle devait courir.
Elle avait peur, elle avait mal mais elle courait sans s'arrêter. Elle ne pouvait s'arrêter.
Au loin elle sentait la fumée, et entendait les cris des hommes. La peur lui enserrait le ventre.
Soudain le sol se déroba sous ses pieds. Malgré ses bras tendus, elle chuta en avant et tomba dans un petit ruisseau. Le contact de l'eau froide la fit hoqueter mais elle se releva aussitôt et reprit sa course. La forêt devenait plus dense mais pour rien au monde elle ne devait ralentir l'allure.
Ses poumons la brûlaient alors que le silence retombait dans le bois. Elle était à bout, luttant à chaque pas pour avancer, juste un petit peu plus.
Elle finit par s'écrouler, épuisée.
Elle roula sur le dos et regarda les étoiles au travers des frondaisons des arbres plus clairsemés. Elle était à bout. Elle aurait aimé quitter ce monde et la folie des hommes. Elle aurait aimé pouvoir partir ailleurs, dans un endroit où sa différence ne serait pas une malédiction.
Elle avait un goût de suie et de sang dans la bouche. Elle fixa les étoiles se demandant si quelqu'un, quelque part, la voyait, ou si elle était vraiment si seule...
Soudain une étoile filante traversa le ciel. La fillette cligna des yeux, surprise par ce signe des cieux. Elle pensait, espérait, qu'il y avait dans ce monde des gens comme elle, différents, rejetés et seuls.
Un sanglot la secoua mais elle ne chercha pas à retenir ses larmes. Tout cela devait sortir, un peu comme du pus d'une mauvaise blessure. Elle devait le laisser s'écouler sous peine d'imploser de l'intérieur.
Lentement elle s'apaisa, retombant dans le silence. Elle l'entendit alors, le chant des arbres, les plantes qui poussaient, la vie qui suivait son cours. Elle se sentit enveloppée par la nature. Elle était la nature.
Elle se sentait comme aspiré par la terre, comme si elle rentrait en elle et, enfin, elle se sentait bien.
Elle ferma les yeux et attendit.

– Approchez, souffla t'elle tout bas.

Elle rouvrit les yeux et se redressa sur ses coudes. Des loups étaient là, attirés par son odeur. Les animaux étaient ses seuls amis. La fillette n'avait pas peur d'eux, ils ne lui feraient aucun mal, contrairement aux hommes.
Elle tendit la main vers les loups qui la dévisageaient mais alors elle vit la brûlure sur son bras.
La douleur revint comme un violent coup porté directement à son cœur. Elle hurla et se plia en deux. La douleur était revenue, comme les souvenirs.




Le début avait été normal, plutôt banal.
Elle vivait dans une modeste chaumière dans un petit village avec ses parents, ses deux grandes sœurs, son petit frère et sa petite sœur. Une famille normale dans une époque rude.
Puis elle a commencée à faire des choses étranges, à entendre des voix, à parler aux plantes et aux animaux.
Cela s'était amplifié avec le temps, comme une source se transformant en rivière pour se terminer fleuve.
C'était de plus en plus étrange, même pour elle. Sans le vouloir, elle agitait la forêt dans ses colères et parfois même semblait devenir immatériel. Elle avait quelque chose. Une chose anormale, un don... Une malédiction...

Bien sûr les gens du village avaient fini par le remarquer, notamment les frères Monthamor.
Dans leur petite communauté l'aînée faisait office d'homme de loi et son frère cadet de curé.
La fillette ne s'en inquiétait pas, elle se pensait à l'abri dans sa famille. Sa mère était douce et aimante, ainsi que ses sœurs et son frère mais dans le cœur de son père naissait peu à peu la peur. Une peur qui devint colère au fil des années.
Cette colère engendra à son tour la peur dans le cœur de la fillette, et cela la rendit instable, dangereuse. Pour elle-même, pour les autres...
Du haut de ses huit printemps, elle pensait déjà à partir, à fuir les regards oppressants des villageois et la peur que son père avait fait naître en elle.
Les nuits étaient toujours le pire moment. Elle était parfois certaine que son père allait venir se débarrasser d'elle, la tuer dans son sommeil. Heureusement, il y avait les voix, ses protecteurs invisibles, et cet instinct qui lui permettait de sentir les choses.
Mais cette nuit-là fut différente.
Dès le matin elle avait senti le changement, les villageois étaient étranges. Alors qu'elle traversait le village pour aller à la rivière puiser de l'eau, elle les avait trouvés distant, comme nerveux en sa présence. Hormis cela sa journée s'était déroulée comme toutes les autres et son esprit d'enfant avait mis cela de côté, jusqu'à la nuit tombée...
Elle dînait avec sa famille quand des coups avaient résonné à la porte. Malgré son jeune âge, elle vit le danger au travers du regard satisfait de son père. Le village était venu la chercher.
Elle, la païenne, la sorcière, le monstre...

Sa mère avait tenté de les en empêcher, elle avait lutté pour sa fille mais avait été repoussé brutalement, frappé au sang devant ses enfants.
La fillette fut alors traînée dans la grange attenante où elle fut attachée tel un animal dangereux.
Des jours durant le curé Monthamor psalmodia des prières censées exorciser son démon mais la peur grandissante ne fit que décupler la puissance de la fillette.
Attachée dans le froid, privée de nourriture, abreuvée d'eau bénie et malmenée, son calvaire dura une semaine complète. Chaque jour pire que le précédent.
Elle avait pensé avoir atteint le fond, mais vint alors le pire.
Les châtiments s'intensifièrent. Les coups sur son corps pour chasser le démon, le sel sur ses plaies béantes pour la purifier puis le feu pour sauver son âme.
D'abord des piques chauffées à blanc sur son corps d'enfant puis une petite croix apposée sur la fine peau au creux de son coude. Elle pensait avoir atteint le paroxysme de la douleur jusqu'à ce que le forgeron amène la grande croix. Un ouvrage démesuré à ses yeux d'enfant.
Avec horreur, elle les avait regardé la faire chauffer à tel point que le métal devint rouge vif. Pris d'une folie sans nom, les hommes l'avaient attrapé et maintenu au sol avant de lui plaquer la croix sur son petit dos.
Les crissements de sa peau brûlée, la douleur atroce puis le hurlement inhumain qui jaillit de sa gorge qui s'écorcha, projetant des perles de sang.
Et soudain son pouvoir échappa à tout contrôle.
Elle se le rappelait...

L'élémentaire de MidgardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant