12 - Pas vraiment le choix

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Les larmes de Hin-Terra coulaient à flot.
Elle ne voulait pas les retenir.
Elle se sentit utilisée. On attendait d'elle qu'elle se comporte en bête de foire docile, mais elle n'était pas comme ça. Elle savait que ça n'avait rien à voir avec ses hôtes mais déplorait qu'on la voit que comme une curiosité.
Soudain la colère chassa sa peine : elle voulait partir.
Malgré les douces apparences, ce monde n'était pas bien différent de Midgard. Elle serait toujours pointée du doigt. Elle avait troqué son titre de Sorcière comme celui d'Elémentaire mais au fond cela n'avait guère de différence.
Hin-Terra se leva, bien décidée à faire ses bagages, mais soudain la peine revint en force. Elle avait du mal à canaliser ses émotions qui la submergeaient comme autant de vagues dévastatrices. Elle passait de la tristesse à la colère tout aussi vite que l'inverse.
Déboussolée, elle se laissa tomber sur son lit et les larmes coulèrent à nouveau.
Elle leur laissa libre cours jusqu'à ce qu'elles se tarissent. A nouveau elle eut envie de partir. Elle était certaine de pouvoir y parvenir, mais pour aller où ?
Elle n'avait nulle part où aller et la menace d'être enfermée à vie planait encore au-dessus d'elle. Ses pensées s'orientèrent vers Loki et sa peine refoula quelque peu.
Il semblait être l'un des seuls à pouvoir la comprendre et à la soutenir, même face à ce Commandant impoli. Pourtant Hin-Terra n'était pas dupe, elle savait qu'au fond il devait attendre quelque chose d'elle mais elle préféra ne pas y penser.
Elle se contenta de remémorer à leurs moments passés. Ce n'était peut-être pas grand-chose mais cela lui permit d'éloigner la peine et la colère puis de sombrer dans un état second avant de finalement s'endormir.

*****

La fillette marchait au hasard des chemins.
Tout le monde la regardaient avec méfiance, il était anormal de voir ainsi une enfant errer. Elle avait dissimulé ses vêtements déchirés et la plaie béante sur son dos sous une vieille couverture trouvée dans les bois, ce qui n'arrangeait rien à son apparence.
Sale, en haillons et le regard hagard, personne ne souhaitait lui venir en aide.
La fillette se nourrissait du peu qu'elle trouvait mais cela ne suffisait plus. Son dos la brûlait et une odeur pestilentielle en émanait. Elle avait beau se laver dans tous les ruisseaux qu'elle avait croisé sur sa route, l'infection ne partait pas.
Rendue fébrile par la fièvre, elle entra dans le village. C'était jour de marché et les odeurs de nourriture agitèrent son estomac le rendant semblable à une bête grondante. Elle plaqua ses mains sur son ventre pour calmer la douleur mais c'était peine perdue, elle avait besoin de manger. Elle devait manger.
Elle tenta quémander pitance mais personne ne voulait lui offrir l'aumône. Elle remonta la rue, cessant de demander de l'aide au fur et à mesure qu'on la repoussait sans ménagement. Elle arriva alors sur la place centrale où trônait une petite chapelle. La vue de la croix la fit tressauter puis elle sentit une étrange force s'animer à elle, chassant sa faim. Tout son être rejetait cet édifice et ses croyances, il n'y avait pas de dieu si on laissait une enfant seule face à ses bourreaux.
La fillette se détourna puis décida de quitter ce village pour tenter sa chance dans le prochain. Elle redescendait la rue quand elle croisa un apprenti boulanger transportant ses victuailles vers l'étale de sa boutique. Il eut une grimace de dégoût en la voyant errer parmi la foule et fit un écart pour éviter de passer trop près d'elle. Dans son brusque mouvement, un petit pain roula puis tomba au sol sans qu'il s'en aperçoive.
La fillette sentit sa faim s'agiter telle une bête à l'affût. Elle attendit que l'apprenti passe puis elle se jeta sur le pain. Elle en déchiqueta une grande bouchée avant de l'avaler après l'avoir à peine mâché. Elle en prenait une deuxième quand on la tira brusquement en arrière. Le petit pain lui échappa et roula un peu plus loin au pied d'une étale d'épices. La fillette se débattit pour qu'on la lâche puis tenta de ramper pour récupérer son dût.

– Où tu crois aller comme ça ? Gronda une voix tandis qu'on appuyait sans ménagement sur son dos.

La fillette émet un cri étouffé mais continua à ramper. Elle avait besoin de ce petit pain, elle avait besoin de manger. Soudain un homme ramassa le pain puis le lança par-dessus un enclos boueux. La fillette parvint à se relever et courut jusqu'à la barrière. Elle se figea en voyant des cochons se battre pour le restant du petit pain.
Des larmes coulèrent sur ses joues mais soudain on la retourna brusquement. Un homme portant un tablier emplit de farine lui faisait face.

– T'as mangée mon pain, tu dois le payer !

La fillette tenta de répondre mais aucun son ne sortit de sa gorge nouée.

– Tu as pris mon pain et t'as croqué dedans, paie-le !

– Il... il est tombé...

– Et alors ? T'avais pas à le prendre, sale petite voleuse ! Tu dois me payer maintenant !

– Je n'ai pas d'argent...

L'homme l'écrasa contre la barrière qui grinça. Le bois plaquait le tissu rugueux de la couverture contre la plaie dans son dos et la fillette serra les dents pour ne pas crier.

– Paies ce pain !

De rage, l'homme lui asséna une claque qui projeta la fillette sur le côté, lui rappant le dos. Cette fois elle ne put retenir un cri. Son hurlement surprit l'homme qui eut un mouvement de recul avant de lui arracher sa couverture. Le tissu emporta avec lui une partie de la croûte purulente, dévoilant une large plaie difforme et sanguinolente.
Il y eut un instant de stupeur puis l'agitation gagna la foule.

– C'est la peste !

– Elle porte le mal !

La fillette se recroquevilla au sol sous les regards affolés des villageois.
La suite était floue.
Un homme sortant de la foule, payant le boulanger puis amenant la fillette dans ses bras sous les huées. Il la porta un long moment puis entra dans une cabane à l'orée du bois avant de lui offrir à manger et à boire.

– C'est quoi la peste ? Demanda la fillette après avoir mangé à satiété.

– Une maladie, répondit l'homme sans la quitter du regard. Elle va et vient, arrive sans prévenir
et repart tout aussi mystérieusement.

– Je ne suis pas malade...

– Non, mais ils en ont tellement peur qu'ils la voient partout. Tu as une infection très étendue, que t'est-il arrivé ?

– La folie des hommes...

L'homme la dévisagea un instant avant de hocher la tête.

– On ne peut hélas rien contre cela mais je peux soigner ton dos, si tu veux.

– En échange de quoi ?

L'homme eut un sourire devant la méfiance de cette enfant.

– Rien. Le simple fait que tu ailles mieux sera ma récompense.

La fillette hésita, il y avait toujours une contrepartie, mais elle était trop épuisée pour y réfléchir.
L'homme nettoya la plaie, ôtant toutes les immondices accolées et les chaires mortes. Il coupa aussi les cheveux de la fillette qui s'étaient collées à la plaie.

– C'est une croix, reprit-il après un temps. Qu'as-tu fait aux Chrétiens ?

– Rien. Je ne suis que moi...

– Et ça ne leur a pas convenu... Je connais ça.

La fillette lança un regard interrogateur à l'homme qui ne dit plus un mot jusqu'à la fin des soins.

– Voilà, ça devrait aller mieux maintenant. Il faudra que tu nettoies la plaie et que tu prennes ceci durant quelques jours. Ne t'inquiète pas ce ne sont que des plantes qui aideront à combattre l'infection.

– Merci, souffla la fillette en prenant le petit sac en cuir. Où... où je vais aller maintenant ?

– Tu n'as pas de famille, d'endroit où aller ?

La fillette se contenta de secouer la tête. Elle était seule, complètement seule.
L'homme lui sourit avec tant de tendresse qu'elle sentit les larmes lui monter aux yeux.

– Si tu le souhaites, tu peux demeurer ici aussi longtemps que tu le voudras.

Cette fois les larmes coulèrent sur les joues ivoires de la fillette. Elle allait le remercier quand soudain elle sentit une étrange agitation en elle. Une alarme, un danger approchant...

– Quelque chose arrive... un danger !

L'homme la regarda droit dans les yeux. Il dut y voir sa panique et sa sincérité car il éteignit brusquement le feu dans l'antre de la cheminé et souffla toutes les bougies.
Dans la pénombre de la nuit et dans un silence pesant, ils attendirent. Ils n'eurent que quelques minutes à patienter avant que des voix chuchotant ne leur parviennent. L'homme s'approcha de sa fenêtre. Il tira légèrement le rideau pour regarder dehors. La fillette ne sut ce qu'il vit mais il recula prestement.
Sans un mot, il s'empara d'un sac de voyage posé à côté de la porte mais soudain un violent coup résonna sur cette dernière. La fillette sursauta avant de bondir de la table où elle était assise.

– Qu'est-ce qui...

L'homme plaqua sa main contre sa bouche mais trop tard.

– Elle est là, je l'ai entendu !

La fillette glapit avant de se blottir contre l'homme qui semblait hésiter. Il regarda alternativement la fillette puis son sac avant de pester.
Il enfila une tunique épaisse à la fillette terrorisée puis il lui mit son sac sur le dos. De nouveaux coups ébranlèrent la porte puis le tranchant d'une hache transperça le bois.
La fillette hoqueta mais déjà l'homme la tirait vers l'arrière de la maison. Il lui passa le petit sac contenant les plantes en bandoulière puis il souleva une trappe.
Incrédule, la fillette regarda le trou d'un noir d'encre à ses pieds.

– On va s'enfuir ?

L'homme la dévisagea puis lui sourit mais l'ombre de la tristesse planait dans ses yeux. Il décrocha alors quelque chose de l'intérieur de sa veste puis il lui tendit.
La fillette prit avec milles précautions la petite broche en forme d'une coupe enlacée dans un lierre.

– Garde la précieusement, elle pourrait te venir à l'avenir, et rappelles-toi surtout ces mots : Le hibou veille et la chouette lui répond. Rappelle-ts'en, c'est important. Maintenant descend et prend sur ta gauche. Tu avances autant que tu peux. Tu sortiras près d'un ruisseau, remonte-le puis tu rejoindras la grande route. Pense aussi à nettoyer ta plaie et à bien prendre tes plantes.

– Et vous ?

L'homme eut à nouveau un sourire triste.

– Je vais les retenir.

– Mais ils n'en ont pas après vous !

– Détrompes toi. Ils ne se servent de toi que comme d'un prétexte, les gens n'aiment pas les personnes comme nous. Les êtres différents.

La fillette, incrédule, cligna des yeux. Elle ne comprenait pas tous mais elle était certaine qu'elle ne reverrait plus jamais cet homme.

– Qui êtes-vous ?

– Juste un humble druide, et un homme qui n'a pu fermer les yeux face à la détresse d'une enfant.

La fillette hocha la tête. Elle aurait aimée aider cet homme, le sauver, mais elle en était incapable.
Comme spectatrice de son propre corps, elle se vit descendre puis ramper sous la cabane tandis que les villageois entraient avec fracas. Elle atteignit le ruisseau sans encombre. Elle allait remonter son cours mais son cœur lui dicta d'attendre, peut-être cet homme inconnu mais si bienveillant allait-il réussir à s'en sortir ?
Elle se cacha dans un renforcement rocheux et attendit toute la nuit mais personne ne vint.
Au petit matin elle retourna, à pas hésitants, à la cabane.
L'habitation était réduite à un tas de cendre et sur un arbre trônait un corps éventré. Une croix plantée dans le crâne.
La fillette hurla, déchaînant la forêt, puis elle s'enfuit, serrant entre ses petits doigts une simple broche. Un précieux trésor.

L'élémentaire de MidgardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant