3 - Obsessions

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Flora rêvait.
Enfin elle le pensait car elle n'arrivait pas à expliquer ce qu'elle voyait. Une salle sphérique où trônait une étrange carte, des personnes toutes aussi étranges et surtout un pont aux couleurs de l'arc-en-ciel.
Flora regardait tout autour d'elle. Elle avait l'impression d'y être sans vraiment y être... comme dans un rêve. Elle observait les gens qui déambulaient. Ils étaient étranges, différents et vêtus comme dans une autre époque, puis ils ne semblaient pas la voir.
Tout indiquait qu'elle rêvait mais l'impression de réalité était troublante.
Soudain alors qu'elle suivait une foule disparate dans une grande salle en forme de dôme, elle remarqua un homme de haute stature portant une armure dorée. Sa peau noire faisait ressortir ses yeux couleur or mais surtout son regard était braqué sur elle. Il la fixait d'un air perplexe. La peur envahit Flora. Cet homme la voyait et ça ne semblait pas normal.

Flora se réveilla en sursaut. Haletante et transpirante, elle se redressa dans son lit et alluma à tâtons sa lampe. Elle mit un temps à retrouver ses repères puis elle attrapa un vieux cahier posé sur sa table de chevet. C'était un peu son journal de bord, là où elle notait tous ce qu'elle voyait, ses rêves, ses visions, ses angoisses...
Elle y ajouta un croquis du pont puis elle l'observa durant de longues minutes. Elle ne l'avait jamais vu, elle en était certaine, aucune construction « humaine » ne ressemblait à ça. Pourtant il semblait si réel, comme le souvenir d'un lointain voyage.
Doucement, elle s'apaisa puis se rallongea sans avoir l'audace d'éteindre sa lumière.
Elle fixait les poutres de son plafond tout en se demandant si la mort du chasseur ne l'avait pas marqué plus profondément que les autres. Les premières fois avaient été difficiles, lui donnant nausées et insomnies puis elle s'y était habitué. Ça arrivait parfois, c'était ainsi.
Flora soupira, espérant que le sommeil revienne vite. Elle chassait une à une ses pensées parasites quand elle sentit une présence. Elle se redressa à nouveau, aux aguets.
Elle hésita puis se leva. Elle enfila rapidement un jean et une chemise puis alla ouvrir sa fenêtre. Elle frissonna en voyant des lumières dans le bois.

– Merde...

Elle se précipita en bas où elle trouva de nombreux animaux apeurés par la présence d'humains. Flora sortit et se dirigea d'un pas vif vers la forêt. Elle se mouvait dans les ombres, sa colère luttant contre sa peur.
Elle s'arrêta en voyant une grosse voiture garée entre les arbres, typiquement le genre de véhicule utilisé par les chasseurs. Sa peur gagna la partie, ils étaient donc revenus chercher « l'autre ».
Flora se pinça la lèvre puis s'accroupit pour les observer. Elle n'aimait pas ça, ça lui rappelait de mauvais souvenirs.
Ils semblaient chercher au sol, sans doute pensaient-ils à une mauvaise chute pas à une mauvaise rencontre. Flora frissonna, s'ils la trouvaient ici elle allait avoir du mal à s'expliquer... mais s'ils suivaient les traces de l'homme jusqu'à chez elle, ce n'était guère mieux.
Flora passait en revue toutes ses possibilités. Elle pouvait les tuer aisément puis enfouir leurs corps à jamais mais s'ils avaient prévenu des gens, ça allait être pire encore. Un vrai cercle vicieux.
Flora hésita puis décida de rentrer chez elle. Tout fermer comme si personne ne vivait là et attendre le levé du jour pour... déplacer le corps. Il avait été broyé, si elle le jetait du haut d'une falaise la cause de la mort serait identique. Enfin, elle l'espérait.
Ou alors l'enfouir à plusieurs dizaines de mètres ? Ça paraissait plus sécuritaire.
Flora hocha la tête pour se rassurer elle-même puis elle pivota pour revenir sur ses pas. Elle s'éloigna accroupit puis se hâta à travers les ombres de la forêt dense.
Elle n'avait fait que quelques dizaines de mètres quand une vive lumière l'éclaira.
Horrifiée, elle se figea.

– Qu'est-ce que vous faites ici ? Lança une voix masculine.

– Je... campe pas loin et j'ai vu de la lumière. Ça m'a fait peur.

Ce n'était pas complètement faux.
La lumière s'abaissa et des hommes approchèrent. Ils portaient tous des treillis verdâtres et des armes en bandoulière. Ils la dévisagèrent un instant avant dde discrètement, ou involontairement, l'encercler. La peur fit frissonner Flora qui sentit l'odeur piquante de son pouvoir envahir l'air. Elle était sous tension et le moindre faux pas signait leurs arrêts de mort.
Un des hommes s'avança alors vers elle.

– Il se passe des choses bizarres dans cette forêt, des choses malsaines, cracha t'il avec colère.
Des gens disparaissent et on raconte d'étranges histoires.

– Ha bon ? répondit Flora. Je... je ne suis pas au courant.

Comme s'il ressentait la menace silencieuse, l'homme chercha du soutien chez ses compagnons avant de carrer les épaules et de reprendre.

– Qu'est-ce que vous faites ici, toute seule dans ces bois ?

– Je vous l'ai dit, je campe pas loin.

– On arpente la zone depuis des heures et on a rien vu. Pas de campement.

Flora se pinça la lèvre.

– Je squatte dans une vieille maison pas loin.

– Vous n'avez pas vu un type plutôt petit et rond, avec un gilet vert ?

– Je n'ai vu personne.

– Attendez, vous voyez de la lumière au loin et vous rappliquez comme ça, sans arme, sa lampe ?

Flora vit la végétation frémir en même temps qu'elle et se contenta de hocher la tête.
Soudain un jeune homme arma son fusil et la mit en joue.

– C'est la sorcière ! C'est elle qui hante ces bois !

L'agitation gagna la dizaine d'homme rassemblée. Certains tentèrent de faire abaisser l'arme mais la plupart portèrent leurs mains à la leur.

– Qu'est-ce que vous avez fait ? hurla le jeune homme alors que les autres le maîtrisaient. Vous êtes un monstre, un putain de monstre !

Les mots heurtèrent Flora qui se replia sur elle-même.

– Allez-vous s'en.

Son pouvoir envahit l'air comme un poison hors de contrôle. Le barrage allait céder.

– Allez-vous s'en !!

Contre sa volonté, Flora laissa alors sa véritable nature transparaître. Ses yeux devinrent nacre aux reflets verts, ses cheveux une broussaille incandescente et sa peau mélange d'écorce et de pierre. Elle tendit les bras et des ombres jaillirent des monstres faits de végétaux mêlés.
Les hurlements de terreur des hommes se mêlèrent à ceux de Flora. Un tir partit mais manque Flora d'un bond mètre et l'arme éclata, broyée par son bois. D'un geste, elle fit naître une multitude plantes aux pieds de l'homme, elles l'enserrèrent, l'étouffant. Elle devait se défendre, défendre sa vie.
Les hommes prirent la fuite dans une débandade de cris. Plusieurs bondirent vers la voiture qui partit en dérapant mais à présent la colère de Flora était trop forte. Heurtée par la peur des animaux et celle des mots, elle lança son pouvoir à leur poursuite.
Toute la forêt sembla prendre vie, les arbres, les buissons, tous tentèrent d'arrêter le véhicule qui zigzaguait agité par les cohues du terrain accidenté.
Rapidement des plantes enserrèrent le châssis de la voiture, bloquant ses roues et condamnant ses occupants. Flora serra le poing, broyant sans difficulté le métal et les corps.
Elle frissonna sous la puissance qui vivait caché en elle puis elle frappa du plat de la main le sol à ses pieds. Aussitôt la terre s'ouvrit pour enfouir les restes puis la forêt retrouva son calme.
Pas de preuves, pas d'existence.

L'élémentaire de MidgardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant