L'élémentaire de Midgard

8 - Un élémentaire

– Hin-Terra, répéta Flora pour la énième fois. Pourquoi je dois changer de nom, déjà ?

Frigga eut un sourire compatissant, Flora avait du mal à tout assimiler.

– C'est important de marquer la différence entre votre vie d'humaine à Midgard et votre vie d'élémentaire ici, répondit Odin. Vous étiez Flora, maintenant vous êtes Hin-Terra.

Flora, ou plutôt Hin-Terra, hocha la tête. Elle était un peu perdue, en fait complètement perdue... Tout était si différent, si grandiose, elle n'en croyait toujours pas sa chance.
Elle, pauvre fille paumée, on lui offrait une chance, la chance de vivre à Asgard parmi des dieux. Elle sourit à cette pensée, n'écoutant plus vraiment ce qu'Odin lui expliquait.
Ils faisaient le tour du palais, son seul secteur autorisé pour l'instant. Odin et Frigga lui expliquèrent le fonctionnement du palais, le protocole royal qu'elle devrait assimiler et respecter, et diverses autres choses. Beaucoup de choses...
Ils la conduisirent ensuite à ses quartiers, une suite composée d'un petit salon, d'une grande chambre et d'une salle d'eau ayant vue sur Asgard. Hin-Terra était ébahie devant tant de richesse dans la décoration et le mobilier mais lorsque Odin lui dit qu'elle devait rester ici sans sortir, elle sentit sa méfiance revenir en force. Ce n'était que temporaire mais elle n'aimait pas cela.
Une fois seule, elle tenta de remettre de l'ordre dans ses pensées mais en vain. Elle venait de vivre trop de choses pour parvenir à apaiser son esprit. Curieuse, elle ouvrit divers placards. Elle s'émerveilla des robes qu'elle découvrit, soie, satin, toutes si belles, si parfaites. Elle trouva aussi différents produits de beauté et fut ravie de mettre la main sur du papier et des crayons.
Son premier dessin fut la vue d'Asgard qu'elle avait depuis sa baignoire assez grande pour deux personnes.
Pour la première fois de son existence, il lui semblait avoir enfin trouvé un endroit où vivre sereinement, et surtout sans craindre pour sa vie.

Épuisée, sa première nuit fut très calme mais les jours suivants virent naître l'ennuie.
Le luxe de sa suite qu'elle arpentait sans cesse se tarit et même la vue sur Asgard perdit de son éclat. Les jours se ressemblaient et sa notion du temps se résumait aux repas qu'on lui apportait.
Seul Odin et Frigga venaient la voir et elle commençait à se sentir un peu prisonnière, à attendre qu'on vienne la visiter. Elle était à nouveau seule, elle qui avait pensée enfin fuir sa solitude.
Après plusieurs jours à patienter sagement, Hin-Terra tenta de sortir de sa suite malgré les deux gardes postés devant sa porte.

– Vous n'êtes pas autorisé à sortir dans le palais, fit un des gardes en lui bloquant le passage.

– Je voudrais juste voir autre chose que les murs de ma chambre, s'il vous plaît.

– Je ne suis pas autorisé à vous laisser sortir.

Hin-Terra essaya d'esquiver le premier garde mais celui-ci, entraîné, l'attrapa sans peine. Il la souleva puis la reposa sur le seuil de sa porte. Agacée mais surtout honteuse, Hin-Terra retourna dans sa suite.
Elle s'adossa à sa porte close avant de soupirer. L'impatience l'avait gagnée et elle n'aimait pas qu'on restreigne sa liberté. Elle se sentait comme un oiseau en cage. Une très grande cage mais une cage quand même.
La situation commençait à devenir pesante.

– Bientôt vous pourrez sortir, la rassura Frigga lors d'une de ses venues. Nous devons d'abord nous assurer que vous ne représentez pas un danger pour les nôtres.

– Je comprends bien et je vous suis reconnaissante de tous ce que vous faites pour moi mais... c'est difficile de rester cloîtrer ici.

– Je m'en doute bien...

Frigga parut hésiter. Elle fixa la fenêtre sans paraître la voir puis elle se leva.

– Venez.

Hin-Terra, trop contente pour la questionner, se leva d'un bond et lui emboîta le pas. Frigga la fit sortir, Hin-Terra se retint de narguer les gardes, et elles remontèrent le long couloir. Elles croisèrent quelques personnes qui dévisagèrent Hin-Terra avec curiosité mais sans peur ou colère envers elle.
Frigga la conduisit dans une petite bibliothèque qui ravit Hin-Terra puis elles sortirent dans les jardins privés des souverains. Hin-Terra fut contente de sortir même si le ciel ne ressemblait à rien de ce qu'elle connaissait. Il était différent, plus haut et dans des couleurs peu habituelles sur Midgard.
Elles marchèrent un long moment tout en discutant ce qui permet à Hin-Terra de se changer les idées. Frigga était de bonne compagnie, bienveillante et prévenante sans être envahissante.
Alors qu'elles étaient de retour au palais, elles virent Odin qui les attendait sur le parvis.

– Cette promenade vous a t'elle plut ? Demanda t'il en descendant à leur rencontre.

– Elle m'a fait le plus grand bien, répondit Hin-Terra, ravie. Je... J'ai un peu de mal à réaliser, à
me dire que je vais demeurer ici, à Asgard.

– Je doute que vous ayez envie de rentrer dans le monde des hommes, rit Odin.

Hin-Terra sentit ses jours rougir.

– Non, pas vraiment... C'est plus sûr que je reste ici.

Hin-Terra avait peur de trop s'avancer mais elle fut soulagée de voir les souverains acquiescer ses paroles. Ils remontèrent le long du bâtiment avant d'arriver sur un large balcon.

– Lui avez-vous parler de la réception ? Demanda Odin après un temps.

Frigga secoua la tête tandis que Hin-Terra fronça les sourcils.

– Nous donnons une soirée dans quelques jours avec différentes personnalités d'Asgard, reprit le Roi. Je veux que vous y soyez présente.

Ce n'était pas une proposition mais bien une affirmation. Hin-Terra se sentit obligé et n'osa pas protester bien que l'idée ne lui plaisait guère. Pour dissimuler son trouble, Hin-Terra se pencha par-dessus le parapet pour découvrir un terrain d'entraînement en contre-bas.
Plusieurs personnes, que des hommes, s'y activaient. Curieuse, Hin-Terra les observa, cela fessait bien longtemps qu'elle n'avait pas vu de combat à l'épée, les armes à feu les ayant recalées au rang de vieilleries. Alors qu'elle examinait un à un les combattants, son regard croisa celui d'un grand blond qui se figea alors. Il eut un sourire avant de prendre les escaliers pour rejoindre les souverains. Ce ne fut que lorsqu'il fut tout proche que Hin-Terra remarqua l'imposant marteau accroché à sa ceinture.

– Salut, fit l'homme en s'arrêtant devant elle. Je suis ravi de faire enfin votre connaissance, on parle tellement de vous.

– Heu... enchantée...

Mal à l'aise, Hin-Terra tendit la main mais l'homme s'esclaffa, visiblement très amusé.

– Il convient d'au moins se présenter avant de tourmenter une personne, releva Frigga.

L'homme au marteau eut un rire tonitruant avant de faire une révérence exagérée.

– Je suis Thor, fils d'Odin.

Hin-Terra tiqua, n'y avait-il que des dieux ici ?

– Alors Asgard vous plaît-il ? Reprit le blond jovial.

– Oui, enfin du peu que j'ai pu en voir...

– Mais c'est mieux que Midgard, non ?

– Heu... on n'a pas encore essayé de me tuer, alors oui.

Thor rigola à nouveau avant d'enchaîner.

– Donc vous êtes un élémentaire ? Vous êtes la première que je rencontre.

– A vrai dire, moi aussi... souffla Hin-Terra mal à l'aise.

– Thor, elle vient juste de découvrir ce qu'elle est, rappela Frigga. Ne l'importune pas.

– Nul n'était mon intention, je me demande juste comment on peut ignorer cela ?

– Hin-Terra est née à Midgard qui a oublié bien des choses, répondit Odin. Elle ne pouvait deviner l'origine de sa différence d'avec les humains, mais maintenant qu'elle est à Asgard nous devions lui révéler toute la vérité. Pour sa sécurité et la nôtre.

Hin-Terra ne broncha pas même s'il était étrange d'entendre parler d'elle comme si elle n'était pas là, puis le ton d'Odin ne lui plaisait guère. Elle avait tout à coup l'impression de n'être qu'un objet rare que l'on exhibait, une sorte de nouveau jouet.

– En tout cas, je suis content de vous compter parmi nous, reprit Thor toujours aussi jovial. J'espère que l'on aura bientôt l'occasion de vous voir un peu plus.

Hin-Terra sentit ses joues s'empourprer tandis que Thor lui prenait la main. Il lui fit un baise-main avant de s'en aller, visiblement ravi de cette discutions.
Hin-Terra le regarda s'éloigner jusqu'à ce qu'Odin demande à son épouse de la raccompagner à sa chambre. La promenade était terminée.
Hin-Terra fut presque contente de retrouver le calme de sa suite. Ses décennies d'isolement avaient bien entamé ses capacités sociales et l'idée de n'être perçu que comme un simple amusement, l'inquiétait. Elle ne savait pas comment appréhender tout cela, ni si elle serait capable de s'y adapter. Elle avait pris l'habitude d'être seule et surtout libre. Ce nouveau monde lui semblait tout à coup emplit de règles qu'elle ignorait ou n'arrivait pas à comprendre.
La peur se faufila jusqu'à son cœur, comprimant sa poitrine. Elle ne voulait pas être une simple bête de foire que l'on exposait tel un trophée sans âme.
Elle frissonna. Asgard perdait peu à peu tous ses côtés attrayants et elle se sentit à nouveau seule.