Prologue 🌕 Cris à la lune.

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Une fois notre dîner terminé, Abigaïl et moi nous asseyons paisiblement entre les coussins moelleux, dans le canapé du salon. Elle saisit le plaid que je garde toujours sur le dossier, le déplie, puis le lance par-dessus ses jambes dénudées avant de ramener ses pieds nus sous ses cuisses.

— Tu vas me trouver un peu folle, affirme-t-elle pleine d'entrain, mais bien que je sois triste qu'Everlee et sa famille traversent cette mauvaise passe, l'idée qu'on organise finalement la fête de Noël chez toi me surexcite ! C'est vraiment sympa de ta part d'avoir accepté.

— Remercie plutôt mes parents et les familles de nos patients pour leur lourde insistance.

— Oui, je sais que tu ne supportes plus l'effervescence des préparatifs de cette période... Mais je vais mettre un point d'honneur à ce que celle de cette année soit ex-tra-or-di-naire ! Et pour tout le monde. Ça veut dire, toi inclus.

Gardant la maîtrise de mon humeur maussade, je parviens à réprimer un soupir malvenu.

— On pourrait déjà prévoir un Père Noël pour nos amis à fourrure. Ce serait adorable ! Et aussi...

Les yeux plongés dans mon verre, mon âme peinée dans mes souvenirs, j'écoute ma pipelette de collègue d'une oreille distraite. Si ma nature enjouée a autrefois enchanté mes proches, presque tout en moi est aujourd'hui terne. Cela fait des années que je ne célèbre plus Noël. Qu'il y aurait-il d'ailleurs à célébrer ? Son absence, ou notre malheur ?

Mon père me darde sans cesse que je dois "aller de l'avant". C'est au-dessus de mes forces. Cette période garde un goût amer... Celui du sang et d'un cœur déchiré.

Tout me rappelle douloureusement mon mari porté disparu. Des décorations que l'on trouve partout en ville à ce feu, qui crépite dans notre cheminée depuis l'arrivée d'Abi. Il n'avait pas servi depuis des lustres. Ce ne serait pas un luxe, vu la chute brutale des températures allant de paire avec ce début de décembre canadien. Toutefois, à son simple usage, je revois mon bien aimé pelotonné dans un coin du fauteuil. Je regrette son air délicat, ses cheveux bruns en bataille aux reflets miel, ses pulls favoris – toujours en désaccord total avec un jogging et une paire de chaussettes quelconques... Je l'imagine, un chocolat chaud nappé de mini-marshmallows dans une main et un livre dans l'autre. Il lèverait le visage vers moi pour me gratifier de son doux sourire.

Mes doigts se crispent. Lorsque nous nous sommes juré amour et fidélité, dans les meilleurs moments comme à travers les pires, j'étais loin de me douter des proportions qu'atteindrait ''le pire''.

— Dis donc, tu m'écoutes ?

Mon amie heurte mon bras en vue de me rappeler à l'ordre. Néanmoins, son geste se rapproche beaucoup plus d'une caresse que d'une remontrance.

Je secoue doucement la tête.

— Excuse-moi, je me suis égaré dans mes pensées.

D'un mouvement très naturel, je me redresse et tends la main vers la table basse pour saisir la bouteille de vin, échappant ainsi au contact de la jolie blonde mais pas à ses yeux bruns brillants. Nous avons débouché ce rouge sélectionné par ses soins au début du repas et somme à présent un peu pompette en arrivant à son fond. Je la sers en premier et prends soin de partager équitablement la lichette de liqueur restant entre nos deux verres.

Je crois remarquer qu'Abigaïl se montre de plus en plus tactile avec moi, j'espère ne pas lui envoyer de faux signaux. Son amitié m'est aussi bénéfique que sa présence. C'est sans doute la raison pour laquelle je m'autorise de temps à autre ce genre de moments, en tête à tête. Je me sens un peu moins seul en sa compagnie. Ceci dit, je ne souhaite en aucun cas me lancer dans une hypothétique aventure sentimentale. Je suis encore engagé envers une seule et unique personne, que j'aime éperdument. La plaie béante dans mon cœur ne se refermera jamais, ce serait égoïste d'infliger cette souffrance à quelqu'un d'autre.

Souvenirs Refoulés [MxM]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant