Chapitre 6

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« Sana, si tu espères récupérer ton masque si tôt, tu te mets le doigt dans l'œil, lança Uta alors même qu'elle se trouvait encore sur le seuil. »

Ôtant son casque de ses oreilles, laissant alors quelques notes s'échapper des coussins, il se tourna en direction de sa cliente la plus régulière d'un air sévère. La jeune fille s'était précipitée à sa rencontre dès lors qu'elle avait cru comprendre qui était son chirurgien. Si quelqu'un pouvait avoir des informations sur une ghoul, c'était bien lui. Il avait en sa possession des clefs qui l'aideraient dans ses recherches. Elle en était certaine. Et elle était déterminée à les récupérer, quitte à les lui arracher s'il le fallait. Mais le regard de son aîné, déjà dur, se glaça dès l'instant où il croisa les yeux mauvais de sa cadette. Il avait visiblement compris que leur échange serait plus pénible que d'ordinaire.

« Scuse-moi d'avoir surestimé ta vitesse de travail, dit-elle.
- Je t'avais prévenu, rétorqua simplement le propriétaire des lieux, en se retournant vers la feuille de croquis qu'il avait momentanément abandonné.
- Finalement, t'es pas très doué comme artisan, lança-t-elle, un sourire mesquin se dessinant sur ses lèvres. »

Le crayon de punk s'enfonça dans le papier avant de casser sa mine dans un éclat de poudre noire. Voilà donc ce qu'elle était venue trouver ici : le conflit. Dans son dos, il l'entendît marcher, ici et là, parcourant d'un pas lent et assuré, les allées de masques exposés.

« C'est vrai quoi, continua-t-elle dans sa promenade, mon masque est tellement fragile que j'le casse tout le temps. Et à chaque fois, les réparations sont plus longues. C'est signe d'un mauvais travail ça. Ou de mauvaise foi. »

Croisant les bras d'un air de remontrance, la brune s'arrêta à quelques mètres de l'artiste. Elle n'était pas là pour parler de la qualité de ses œuvres, ni même pour critiquer sa rapidité d'exécution, bien que cela soit tentant. Non. Son objectif était tout autre et elle ne se gêna guère pour changer très rapidement de sujet, comme si ses propos n'avaient pas eu pour but de blesser qui que ce soit. Peut-être que cette injustice, liée à son bien, lui serait utile pour le faire flancher plus tard.

Apercevant du coin de l'œil le carnet d'adresses du propriétaire des lieux posé sur le comptoir, elle le pointa d'un signe de tête désinvolte, jouant l'inintérêt comme elle le pu.

« T'as vraiment tous tes clients inscrits dans ce p'tit carnet ?
- Bien sûr, les données que je récolte sur eux sont précieuses, il faut bien que je les conserve quelque part, répondit-il suspicieux. Si jamais il te prend l'envie de le feuilleter sans ma permission, je le verrais tout de suite, ajouta-t-il comme devin.
- Aucun intérêt, j'suis même pas dedans. Et pas la peine de le lire pour le savoir.
- Oh, comment tu as deviné ? demanda le punk avec ironie.
- J'ai compris. En fait c'est que ça t'amuse, hein ? grinça la brunette, la mâchoire crispée. De m'faire attendre à chaque fois, m'faire payer et de t'distraire de mon malheur. Pourquoi est-ce que t'es une ordure pareille ?
- Parce que tu m'énerves. »

Devant ces propos, piquants et pourtant prononcés sur un ton si banal, la brunette fronça davantage ses sourcils déjà bien affaissés. L'un de ses yeux vit rouge en un instant, comme pour souligner plus encore sa colère. Venant taper la paume de sa main sur la table qui abritait les affaires de l'artiste, elle fit valser quelques crayons, qui rebondirent sur le carrelage avant de rouler sur quelques centimètres.

« J'te porte pas non plus dans mon cœur, j'te rassure, dit-elle sèchement.
- M'en voilà ravi, répondit simplement son aîné de son habituel air détaché. »

C'était la première fois qu'elle ressentait ça. L'envie irrésistible de sauter à la gorge de quelqu'un. À vrai dire, pour être plus précis, c'était la première fois que ce désir ne provenait pas de son besoin d'obéissance inconditionnelle, mais de son propre chef. La colère qui l'habitait, s'accumulait depuis plusieurs jours maintenant et semblait prête à exploser dans un feu d'artifice d'hémoglobine.

Cette rancœur, qu'elle ne pouvait pour l'instant pas porter sur le coupable qu'elle recherchait, elle se voyait déjà la déverser sur ce personnage irrespectueux qui lui faisait face. Après tout, le faire chanter était sans doute une perte de temps et d'énergie. Il n'avait pas l'intention de lui donner les informations qu'elle souhaitait et elle n'avait aucunement envie de se mettre à genoux pour le supplier de la laisser lire son carnet. Comment diable avait-elle réussi à le convaincre la dernière fois sans hausser la voix ? Le mettre KO était une solution bien plus envisageable. En plus de la défouler, cela pouvait lui être davantage utile.

Mais alors qu'elle sentait son sang s'accumuler dans ses poings, le bruit de la porte d'entrée la coupa net dans ses intentions. Des talons claquant timidement le sol se firent très vite entendre alors que la jeune fille desserra la mâchoire.

« Bonjour ? annonça une voix bien connue au bataillon. Est-ce que vous êtes ouvert ? »

L'eau et le feu se tournèrent à l'unisson en direction de l'entrée, qui venait de carillonner. Kaneki se trouvait là, plantait sur le seuil, ne sachant trop s'il devait entrer ou s'enraciner sur le paillasson. Ses cheveux commençaient à retrouver le noir de leur début, chassant peu à peu la neige sur les pointes et ses yeux sombres pétillaient toujours du même éclat d'innocence derrière ses lunettes. Cependant, cet air, qui avait réchauffé les cœurs de ses proches oubliés, fit discrètement grimacer Sana. Où était donc passé cette force de caractère, cette puissance de frappe, qu'il paraissait avoir acquis avant sa disparition ? Le souvenir de l'état dans lequel ils l'avaient retrouvé après son kidnapping, bien que flou à sa mémoire, avait laissé en elle une grande impression. Si puissante qu'elle s'en trouvait visiblement indélébile, même si à l'époque, elle avait pris peur devant ce Kaneki aux cheveux blancs sans pitié. Aujourd'hui, elle ne pouvait ressentir que de l'admiration à son égard. Il avait été ce qu'elle aspirait à devenir. Inarrêtable, indépendante, intouchable et combative. Mais ce masque de candeur qu'il affichait à présent, ne lui inspirait plus que du mépris, si ce n'était pas du dégoût. Se présentant ainsi, il lui semblait pathétiquement faible et vulnérable. Rien à voir avec cet immaculé aux airs de battant qu'elle avait aperçu sur le toit cette nuit-là.

Uta, de son côté, lui, sourit. Alors que l'idiote agressive s'amusait à analyser un inspecteur sans prendre la peine de camoufler son œil rouge, il enfonça un masque qu'il avait sous la main, sur son visage. Bourré de défauts, il avait au moins le mérite de préserver l'identité de sa porteuse et par la même occasion, lui offrait en partie ce qu'il pensait qu'elle était venue chercher.

« Oui bien sûr, nous sommes ouverts, acquiesça-t-il finalement.
- Je suis désolé de vous déranger, s'excusa Ken en scrutant le duo, quelque peu gêné.
- Non, tout va bien. Mademoiselle s'apprêtait justement à partir. »

L'aimable rictus du punk disparu un bref instant, lorsque son regard, accompagnant ses paroles, se posèrent sur le minois renfrogné mais camouflé de sa camarade. Mais il reporta rapidement son attention sur l'amnésique, retrouvant d'un même temps, un air avenant qu'il ne lui accordait jamais. Leur discussion reprit donc, alors que la brune faisait mine de s'en aller discrètement. Seulement, plutôt que de partir sans faire de vagues, la jeune fille profita de la diversion qu'offrait la présence de Ken pour attraper le carnet de l'artiste. Le glissant silencieusement dans son dos, l'apprentie voleuse s'éclipsa aussitôt.

Et voilà. Pas la peine de perdre son temps à demander lorsque l'on osait se débrouiller autrement. Seule.

Le Nom qu'Elle m'a Donné 2 [Tokyo Ghoul Re:]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant