Faux Alain Delon

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Il était assis, sur un rien, un morceau de brique posé à ras le sol. Il n'avait pourtant pas choisi son morceau de brique aléatoirement. Il voulait être au milieu de la scène de poussière pour que je ne puisse pas le louper, éclairé par le seul projecteur du soleil, qui n'était pas concentré uniquement sur lui. Heureusement pour nous au passage. Il mettait en valeur sa clope à la main, et avait les yeux dans le vide. Il dégageait un air rebelle mais au fond ça devait être un grand fragile. Il sortit de ses rêves en me voyant arriver vers lui, il paraissait hypnotisé et en train de se remémorer rapidement son même discours de dragueur. Discours qu'il s'est sûrement construit en refermant la porte de sa maison ce matin. Que dis-je, de sa caravane.

- J'ai vu ton profil inachevé, ça m'a titillé alors j'attends sa parution.

Il y eut un moment de silence, puis je rétorquai avec méfiance :

- Tu peux attendre, l'inspiration n'est pas encore là, et il me faudra du temps avant de savoir quelle facette de ma personnalité je vais décider de publier.

- Merde, je n'aurai pas assez à fumer, balança t-il.

Il sourit d'une façon presque moqueuse et adopte une attitude de mauvais garçon, je deviens davantage méfiante, restant sur la défensive. Qu'est-ce qu'il foutait là ? Dans une position de beau gosse des films des années 70's, à espérer conquérir une inconnue (rajoutons bloggeuse) avec sa clope dans la gueule et les jambes écartées ? Je le fixais avec mépris tandis qu'il persévérait en me déshabillant le regard.

- Assis-toi à mes côtés et attendons que ton profil se construise, j'ai une cafetière, ça fera passer le temps.

Pour qui il se prend lui ? Alain Delon ? (Qu'est-ce qu'il était beau jeune quand même. Alain Delon entendons-nous). Non, on ne peut pas dire qu'il soit beau celui là. C'est quoi être beau ? Deux yeux bien alignés au milieu de la figure, un nez fin, c'est pas une beauté ça, c'est une norme sociale. La beauté c'est une manière d'être, l'essence même d'une personne. Je ne sais pas s'il a quelconque beauté mais pour l'instant il ne me persuadait pas. En plus, il avait une faille, ça se sentait dans son attitude. Je ne le connaissais pas mais j'avais déjà cerné quel type de carapace il utilisait pour s'intégrer au mieux, et faire plein de copains, surtout se faire plein de copines.

- Non, je n'aime pas le café, je lui répondis sèchement.

Et en même temps, cette idée de jeu de séduction me plaisait bien. C'est un de mes passe-temps favori. Et puis, comme je pensais à chaque fois que l'occasion se présentait, c'est peut être de cette façon là que je pourrais enfin me caser. Cette jeune demoiselle solitaire que je suis, incapable de se cerner, malchanceuse dans les relations prédéfinies a peut être plus de chance de trouver chaussure à son pied avec le jeu du hasard. Non je ne suis pas solitaire. J'ai des amis, comme la plupart des gens en faite. Et je rêve d'amour aussi. « Même les méchants rêvent d'amour » néanmoins je ne suis pas méchante. Enfin j'en sais rien. En conclusion, je suis paumée avec moi-même. Ce Qu'il Fallait [vous] Démontrer.

- Mais je veux bien venir m'asseoir quand même.

Le silence s'installa, mais nos regards parlaient pour nous. Il me fixait et j'en profitais pour continuer mon analyse corporelle. La chemise déboutonnée ni trop ni moins, c'est un charmeur, c'est justifié. Le pantalon usé, c'est un vagabond, ou alors il se donne un genre. Les chaussures en cuir avec les marques du temps, un voyageur ou qui vit dans une situation précaire. La chaîne en or, il ne vit pas dans une situation précaire. Ou c'est un objet sentimental. Ou alors c'est un voleur ? Merde, faut que j'le surveille. Il a les cheveux décoiffés avec du gel fixé à la main, il a couché hier soir et avait prévu cette entrevue. Il avait tout planifié, cet escroc, il avait fait ses repérages.

- Ne sois pas méfiante, je ne te veux aucun mal, je suis le fils de Black et Cyrus, comme ça, si je fais des bêtises, tu pourras te plaindre auprès d'eux.

Et merde, j'ai voulu jouer à la plus maligne, je l'ai trop méprisé, j'en viens à la conclusion que c'est un rêveur et charmeur, peut être aussi un fragile mais c'est tout. Ce sont ses yeux qui m'ont fait venir à cette conclusion. On retrouve un signe chez tous les rêveurs. Ce quelque chose que les autres n'ont pas. Oui on peut dire clairement que les rêveurs sont tout le temps ailleurs, ils ont le regard vide, ce sont de vrais paumés ce qui fait que quand on leur parle pendant un moment de rêverie, ils entendent mais leur esprit est hors du temps et ils n'écoutent pas. Je connais ça.

- Désolé, je suis méfiante envers les inconnus. Je n'ai jamais eu de chance en amour (la pauvre malheureuse que je dois paraître), soit je tombais sur des obsédés, soit des gamins qui balancent des « je t'aime » à la première qu'il juge potable. Du coup je me suis renfermée, ça valait mieux.

Je le vois rigoler de mon futile désespoir, ses yeux s'accommodent bien quand il rit, ils se plissent légèrement, on ne voit plus qu'eux.

- Ah parce que tu as d'autres prétendants ? Merde, moi qui croyait avoir l'exclusivité ! balança t-il.

Sa remarque me laisse perplexe. D'abord ça veut dire que je suis une cible depuis un petit moment déjà, et puis les séducteurs laissent des indices comme ceux ci pour sous-entendre quelque chose, mais est-ce sincère ? Mais je rigole quand même pour répondre à son interjection. Il sortit une cigarette et la clope dans la gueule, me lança :

- Ca t'embête ?

- Non ça ne m'embête pas, si ça te permet de te donner ce côté viril dont tu as besoin, rétorquai-je avec un ton d'humour léger.

Ne voyant aucune réaction à son égard, je me corrigeai :

- Je rigole, non ça ne me dérange pas.

De toute façon, ne prenant pas attention à mes réponses, il alluma d'une main sa cigarette, avant d'inhaler une première fois la fumée en regardant l'horizon, on aurait dit une inauguration.

Je le regardai, et plus je l'explorai, plus il me donnait envie de le connaître plus, il me paraissait mystérieux et assez envoûtant, ce jeune faux mauvais garçon. Ce sont ses yeux qui étaient les plus attractifs sur l'ensemble de son visage. Ils étaient tels les yeux d'un peintre. J'avais l'impression qu'il examinait chaque détail du paysage et qu'il allait me les peindre s'il me les décrivait. Aussi, je sentais son odeur lointaine, elle m'embaumait, elle m'attirait. Pendant qu'il réfléchissait, exécutait des vas et viens de sa cigarette, je le regardais encore. Il sentait certainement que je le regardai, mais je n'arrivais pas à regarder autre chose que lui. Alors, hypnotisée, je lui demandai :

- Et quand cet article sera terminé, tu n'auras plus rien à attendre, que tu penseras avoir parcouru ma personnalité toute entière, alors que vas-tu attendre ensuite ?

- Pourquoi je devrais encore attendre ? Y'a pas que l'attente, on pourrait faire des tas de choses ensuite ! Toi et moi !

- Je vais attendre alors.

Il devait penser avoir perdu parce qu'il a tourné la tête. Mais il devait ne pas se préoccuper de ma réponse, ou alors il ne devait pas avoir de fierté. Il dû sûrement réfléchir un instant sur une stratégie et revint à l'assaut.

Et du coup cette fois ci, c'est moi qui me sentais observée et analysée. Déboussolée, je fixai un détail au hasard dans le paysage, mais je regardais du coin de l'œil. Il me fixait bel en bien. Je me suis mise à paniquer intérieurement et j'ai de suite rappliqué :

- On se promène dans la forêt si tu veux, il n'y a que cet endroit que je connais le mieux.

Nous étions en effet assez proches d'une forêt et je l'appréciais beaucoup. Cette forêt n'est pas obscure, elle laisse passer les rayons du soleil, elle n'est pas oppressante. J'aime beaucoup y aller même si je ne suis pas particulièrement proche des animaux qui y habitent, des plantes, des elfes ou je ne sais quoi encore. J'aime simplement m'y poser pour réfléchir, regarder et sentir son odeur.

Il s'est levé et m'a tendu la main pour me relever. Il est vrai qu'une brique est assez basse mais j'étais capable de me relever seule. Ce pourquoi je me suis levée en me contentant de le regarder. J'ai esquissé un sourire et il a annonçé en rigolant :

- Que mademoiselle la Farouche me guide !

LucioleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant