Alternative Current

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La douceur dans sa voix laissa place à un air géné. Il semblait perdu, ne sachant quoi me répondre. Moi aussi j'étais génée, je baissais les yeux vers sa guitare. Cette fois çi le silence était pesant et plus le secondes défilaient, moins j'avais envie de le rompre. Je ne savais quoi dire. Pourtant je n'avais aucune raison de ne pas avoir le courage de le briser.
Mais c'est à lui de s'expliquer.
Il voulait apparemment détendre l'atmosphère lourd. Il commença par réaccorder la guitare puis il pinça les cordes dans un tempo lent. Je n'arrivai pas à reconnaître ce qu'il jouait.

Même si j'attendais plutôt une réponse, je décidai de ne pas lui couper la parole et de le laisser continuer de jouer son morceau mystérieux. Il ne me regardait pas, il restait concentré sur l'arpège, fronçait les sourcils par moments.
Je ne l'écoute plus maintenant. Sa dernière phrase me revient à l'esprit.

....Nila
Je me remémore la façon avec laquelle il a articulé mon prénom. Il me parlait avec sérénité. Il s'est adressé à moi avec tendresse. Mais il y avait aussi un ton de compassion, qui m'a dérangé.

Il s'arrête de jouer. Il n'a pas l'air d'avoir fini mais il s'est arrêté après m'avoir regardé. Il a dû comprendre que j'étais ailleurs et que le morceau ne m'a abrégé dans mes pensées après la gaffe. Même s'il n'a fait qu'articuler mon prénom.

*

Je n'ai pas passé toute mon enfance au village. Je ne suis pas une gosse de la région mais je me suis vite accoutumée au village. Mes anciens amis habitaient dans le village d'à côté. Je passais plus de temps là bas que dans mon propre village. Il faut préciser que leur village était beaucoup plus grand qu'ici et il y'avait de quoi faire de sacrés rassemblements de jeunes. Au choix on passaient nos après-midi dans la piscine de l'un, dans le jardin de l'autre, sur la place de la fontaine, la place de l'église, dans la forêt la plupart du temps mais j'en passe.
C'était il y a longtemps maintenant et je ne saurais dire combien de temps.
Dom était aussi un garçon du village s'il était le fils de Black et Cyrus. Le problème c'est que je n'avais jamais entendu parler de lui avant qu'il n'apparaisse de lui-même. Je crois.
Peu de gens du village me connaissaient. Moi je ne connaissais que Mr Boutaric, Black et Cyrus, peut être le facteur aussi, même si ça compte pas vraiment. Symboliquement, mon prénom a été connu par le village (sûrement grâce à cette sacrée Mireille) pendant cette période où j'ai été au centre des potins post-messe.

Dom est un garçon du village alors il me connait sûrement par le biais de ces foutus ragots.
En repensant à cette hypothèse et avec sa présence à mes côtés, mon coeur se met à battre à 100 à l'heure. Ma respiration s'accélère. Je ne me contrôle pas, c'est la panique injustifiée qui s'empare de moi d'un coup.

- Je sais que tu penses encore à ça. Je sais que tu t'appelles Nila et j'arrive pas à comprendre que ça puisse te mettre dans un état comme ça.

- Bien sûr que si !
Tu sais très bien ce qui me met dans cet état puisque t'es au courant de tout !

Une gène monstreuse m'envahit ensuite. J'ai besoin de partir. Maintenant. Il faut que je sorte. Je me lève instinctivement de son lit. À ce moment là les commandes de mes jambes ne me laissent pas le temps de réfléchir. Mon corps se dirige vers la porte comme s'il était question de ma propre survie. Je m'enfuis littéralement, encore une fois. Je ne l'entend pas me suivre, la panique me tire dehors puis s'estompe lorsque je claque la porte d'entrée. Je suis au moins sûre que la porte nous sépare.

Je saisis mon vélo et avance vers la route. Je repasse devant l'entrée de l'épicerie et c'est alors que je me souviens que je dois y passer pour acheter ce que maman m'a demandé de lui prendre. Je cherche une excuse pour ne pas avoir à y retourner. Je n'en trouve pas. Je me dépêche de caler mon vélo près du mur et j'accélère ma marche en direction de l'épicerie.

À ma grande surprise, il n'y a qu'un homme assis au comptoir. Il n'est pas du village, son camion est garé sur la place. Il est vêtu d'une casquette et d'une veste sans manche qui laisse apparaitre un tatouage AC/DC. Il sirote calmement sa bière. Il fixait son verre, il s'est rapidement tourné dès qu'il a entendu mes pas à l'entrée mais est ensuite retourné à son occupation.

- Tiens ! Salut Nila ! M'adressa amicalement Cyrus.

- La ptite Nila est v'nue nous voir finalement ? Continua Black alors qu'elle était dans l'arrière-salle.

Je n'ai jamais osé demander à Black et Cyrus pourquoi on les nommait ainsi. Pourtant j'ai souvent été tentée de leur demander. Black est une femme dans la force de l'âge, elle est très féminine mais elle apparaît à tout le monde comme une femme très robuste, c'est la fille de deux agriculteurs m'avait dit ma mère. Cyrus quant à lui est un homme assez simple, il est toujours là à sortir ses pires vannes. Black raconte derrière qu'il fait ça pour attirer le client, "rien d'autre !". Il paraît plus frêle que sa femme, pourtant je crois qu'il est plus costaud qu'elle, mais il est évident que le mental de Black lui donne une plus grande place. Cyrus est chauve et il porte généralement ses vieux t-shirts : Cyrus est un pur adolescent ! À eux deux ils forment une sacré paire. On dirait davantage les meilleurs amis du monde qu'un simple couple.

- Je viens te prendre un pain et de la farine aujourd'hui.

- Je te laisse te servir ma belle !

J'entend claquer une porte mais me contente de marcher jusqu'à l'armoire. Avant de me retourner j'entend un long soupir. Je crus d'abord que c'était l'homme à la bière. En retournant au comptoir, mon regard croise celui de l'Ennemi numéro 1.
Fixant un point au hasard droit devant moi, je pose le pain et le sac de farine sur le comptoir. Je me contente de rester calme.

- Qu'est-ce que t'as fait à la ptite Nila pour la mettre dans cet état là Domi ?

Suite aux paroles de sa mère, Dominique baissa les yeux. Elle se rendit compte qu'elle l'avait blessé plus qu'il ne l'était déjà. Elle tenta de détendre l'atmoshère :

- S'il t'embête Nila, tu me le dis hein, il passera un mauvais quart d'heure, pas vrai Domi ?

- Jsuis désolé Nila...

Sa voix était faible. Je voulais répondre quelque chose mais je finis par soupirer légèrement.

"Je serais une jeune mistinguette comme toi, je lui pardonnerai à ce bon ptit gars ! Je suis sûr qu'il t'aime bien. C'est pas tous les mecs qui feraient ça moi jte l'dit !" Commenca le monsieur marqué AC/DC, accompagnant son discours d'une légère tape à mon épaule.

- Ça c'est sûr et c'est pas le mien qui ferait ça ! Pas vrai Cyrus ! Prend en de la graine de notre ptit ! Heureusement qu'il tient pas de son père mon ptit Domi !

Je souris et le regardai. Lui était toujours les yeux baissés sur le comptoir.

- À bientôt Black. Au revoir monsieur.

Je fis un dernier signe à Cyrus et je repris ma route vers la maison.

LucioleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant