Elle délie ces paupières, non sans un certain déplaisir — la chassie englue ses cils entre eux, se déchire sous la séparation de la peau diaphane. Elle voit. À quelques centimètres de sa tête, elle voit une surface brune, délicate, dénuée d'imperfections. Elle lève sa main engourdie et y passe ses doigts — ses doigts longilignes, albes, cruellement froid, aux ongles rongés jusqu'au sang. La teinte rubis colore la feue limite de la lunule, désormais remplacée par la marée rouge. Un son indistinct s'élève à leur contact, le crissement du papier contre le derme. La sensation est inconfortable, le carton trop lisse ne présentant aucune alcôve où y plantait les griffes. Les doigts fraîchement mordillés pourfendent la surface de leur traînée foncée. À la vue de l'empreinte hésitante, le goût du fer s'éveille dans son palais. D'abord léger, il croît à en devenir insoutenable ; ce sont des millions d'aiguilles qui remplissent sa bouche de leur suave. Sa salive même se fait sang, l'oxygène se raréfie pour laisser place aux ions ferrés. Elle doit éternuer et tousser jusqu'à outrance pour tuer l'illusion et retrouver sa respiration suite à de grandes goulées, se cognant le crâne contre le plafond bas par la même occasion. Son attention vacille hors de l'espace confiné pour se concentrer sur son corps. Elle est nue. Elle essaye de bouger ses jambes, en vain ; on dirait comme du plomb qui les gonfle et les alourdit. Elle tente alors de tourner son buste, chose qu'elle réussit au prix d'une immense douleur dans son abdomen. Pas de la faim, juste une brûlure de blasphème qu'elle n'arrive pas à expliquer. Mais la fatigue la gagne ; ses paupières luttent contre l'épuisement. Elle vient seulement de se réveiller, mais la seule inspection de son corps la fait trembler de sueur. Sous son dos, elle sent le papier se mouiller, se ramollir, s'éteindre autant qu'elle. Elle voudrait changer de position. Trop tard. Sa tête heurte le sol avec un fracas soudain. Elle s'est rendormie. Dort-elle vraiment ? Son buste se soulève aux rythmes des respirations. Ses joues se sont teintes d'un affreux rose lors de son labeur, un rose charmant rappelant les orchidées à l'orée matinale. Bientôt, la nuance s'en va, et laisse place au même blanc que le reste de sa carcasse. Ses souffles se saccadent. Son buste peine, pour enfin s'évanouir. Elle est morte, faute d'oxygène. Ce n'est pas du rouge à lèvres qui donne sa pulpe à sa bouche, c'est la vie séchée qui dépasse de ses commissures.
Elle rouvre les yeux. La douleur au creux de son ventre s'est volatilisée. Ses jambes battent avec frivolité tandis qu'elle remue ses petits orteils amusément. Son rire cristallin s'éveille dans l'habitacle : au son même de sa voix, elle se surprend, elle se tait, coupable de son crime, mais sa voix si enjôleuse lui déclenche un dernier tintinnabulement timide. Elle passe sa main dans ses cheveux encore humides. Ils sont courts, fortement entremêlés, si bien qu'elle croit ne plus pouvoir en retirer sa main. La touffe qui s'en arrache sous la vigueur est blonde et jeune. Elle porte les poils à ses narines. Elle sent le soleil se reflétait dans le parfum de son hure, elle sent une chaleur belle. Rire à gorge déployée. Elle reporte désormais son attention sur son environnement. L'endroit lui rappelle un cercueil. Elle ne peut guère bouger emprisonnée dans ce huit-clos, car déjà là ses guibolles à moitié pliées s'enchevêtrent, ses genoux tapent la cloison au moindre mouvement. En les inspectant, elle constate que sa geôle présente une caractéristique pour le moins déboussolant : elle est tout en carton. On voit des plis se formaient à certains interstices, on voit que la matière a été repliée maintes fois à l'endroit indiqué, octroyant au mur cartonné sa résistance herculéenne. Elle attrape l'une de ces ouvertures de ses deux mains puis tiraille le matériau du mieux que sa position le lui permet, mais rien n'y fait, le papier tressaille, ne se déchire pas. Elle retombe vaincue sur son flanc, sa joue gauche collée au sol, la moue facile. Elle pose son index contre la paroi. Elle appuie de toute ses forces, espérant laisser une trace en son sein. Son ongle disparu l'en empêche. Elle croise ses bras sur sa poitrine, dépitée. Pourquoi est-elle ici ? Pourquoi ne peut-elle pas sortir ? Une sensation de gêne palpable grandit en elle et serre sa gorge, car autant de fois qu'elle recherche ses souvenirs d'avant son apparition dans le cercueil, elle ne rencontre qu'un vide funèbre, intersidéral. Elle n'a pas de souvenirs. Elle sursaute même en se rendant compte qu'elle ne connaît pas son nom. Devrait-elle s'en donner un elle-même ? La question la turlupine, elle finit cependant par garder son anonymat. Ses mémoires reviendront de leur bon gré, elle en est certaine. Elle ferme à nouveau les yeux, mais cette fois-ci, le sommeil lui refuse sa grâce, et elle demeure là, éveillée et immuable. L'ennui la terrasse. Elle ne peut plus rester là. Elle doit partir. Vite. Elle ouvre soudain ses deux globes pleins avec une force telle à instantanément dilater les pupilles effarées tandis que l'iris se colore d'un vert de bosquet. Elle balance alors pieds et poings contre son toit, c'est une guerre mortelle qu'elle livre à l'encontre du carton. Elle hurle de toute ses forces, comme possédée, se débattant jusqu'à l'os. Ses phalanges explosent au choc, la bourbe cramoisie peint le mur en corolle aux pétales fauves carnivores. Les morceaux de cartilage se répandent partout autour d'elle alors qu'un mal agonisant pénètre sa main : sa voix se mue, elle vocifère toujours, mais son timbre est chevrotant et la salive coule à flot le long de son menton. Elle se recroqueville, toute haletante dans son état, ne sachant comment atténuer le flot de ses jointures meurtries. L'affliction la fait vomir une bile hématémèse, un mélange rose jaunâtre qu'elle éjecte sur ses seins et son ventre. Tant bien que mal, elle se resserre contre un pan de l'habitacle et déverse le dégueulis sur le sol devant elle. Sa quinte de toux ne s'arrête plus, elle aperçoit des flash de néant transpercer sa rétine. Sous son amas de chair sale, le sol absorbe la mixture. Naguère solide tel un diamant, le papier s'est fripé sous l'ingestion des divers liquides. Il souffre. Lui aussi glapie sa plainte, mais elle n'entend rien de la torture cartonnée. Lui aussi se meurt ; les fibres éclatent une à une, la viande synthétique cède sous le poids de la jeune femme. Le sol se délie subitement, délivrant sa captive.
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Paperboard mélancolie
ParanormalUne boîte de Pandore aux murs infranchissables, un cercueil de papier sans issue dans ce néant cubique. Un être unique se soulève dans cet espace confiné. Une vie qui découvre le monde, qui s'est perdue pour se retrouver, afin d'en finir avec la vie...