Un mistral assassin s'en prit au garçon rondouillet ; la diablesse entreprit de prendre une bonne poignée de chevelure grasse et amère, enroulés le long de ses phalanges de durite, de passion animés, avant de projeter d'avant en arrière ses paumes tièdes. Le faciès infantile se pourvut de traits infâmes convulsés par l'horreur, animés de senseurs avivés pour la première fois, une douleur singulière, un éclair blanc de magma parcourant les racines des petits poils de satin auburns. Et sa bouche tracée des plis de ses canines qu'il plantait lui-même, tordue en aucun sens et débordant de salive ; et ses paupières trémulantes ne cessaient de s'ouvrir puis de se clore avec plus de vigueur que la lumière du levant, et le liquide salin qui se dépensait d'au-travers de la faible crevasse les disjonctant, ternissait l'ocre de son visage, ternissait le pourpre de sa frêle, si menue santé. Mais les mains fatiguées du manège s'enhardirent d'une méchanceté nouvelle, d'un jeu d'une nature venant de malices réprimées. La tête grimacée percuta le chêne fait pupitre dans un sec étouffant. Une fois relevée, on voyait son nez aplati noyé dans les goutelettes rubis émergeant de ses boyaux difformes, ces nasaux détruits au choc, et le sentiment qu'il affichait était tout autre, et l'existence qu'il ressentait revêtait un vêtement trop grand : on ne distinguait plus ses orbiculaires tant le caractère bestial de sa crainte ouvrait ses iris. Le doux halètement exhalé, suivant le contour retroussé de ses babines d'effroi, interpelait le moindre de ses camarades, lesquels étaient soient occupés à se pourchasser puérilement autour des tables renversées ou bien ceux-ci s'étaient déjà rendus compte du spectacle dispensé et témoignaient pareillement, acculés aux murs, regroupés derrière les séants à terre, dissimulés derrière quelque meuble, car personne ne désirait l'attirer. Elle aussi, elle comprit. Elle dévisagea chacun des enfants présent autour d'elle pour y intégrer comme au fer leurs expressions dans son crâne ; une émotion, ou peut-être un soi unique, coloré de mille nuances, emplissait son ventre et remontait le long de ses membres, ses organes frémissant de joie, son rictus éperdu craquelant ses pommettes. Était-ce un monstre qui avait pris sa place, était-ce donc là la possession d'une Bête qui l'avait piqué et monté contre son espèce ? Ou bien, et quiconque eût songé cette théorie n'aurait voulu trouve réponse à pareille hypothèse, ou bien alors il n'y avait aucun fantôme au volant de sa carcasse, ou bien même les diables contés ci-contre n'existaient que dans les contes désignés à terrasser les plus rebelles bambins, ou bien n'était-ce qu'elle ?
Son rire vint accompagné l'ordre musical enjoint par sa victime. Les murs se tinrent de l'esclaffement, les rideaux battirent à leur tour, avant d'écraser le vilain garnement derechef sur le bois tacheté. A mesure que ses doigts se relâchaient contre les pans de l'établi, et à mesure que son nez se ramenait à une bouillie unidimensionnelle au sein de ses viscères, le Léviathan prenait place au centre du théâtre, dans son ombre se trémoussant de fureur la jolie gamine à la robe cocon.
Le serpent de la Mer universelle s'élevait beau. Il observait ses serres, crochues de lunules rosies dans la bourbe enchevêtrée. C'étaient des ongles cassés, fendus pareil à des tulles arachnides, les mêmes desquelles leurs fabricantes rongeaient la vie de la proie s'y étant lovée. Gabrielle regarda sa main encore quelques secondes, obnibulé par la teinte reflétée par ses globes ; puis elle tourna son regard lointain vers le garçon maltraité. Ce dernier ne bougeait plus. Ni ne respirait, il était tapis là, dans l'ombre du pupitre, une unique abysse à l'épicentre de son corps défiguré. Gabrielle s'agenouilla, les tempes couvertes de ses griffes, et elle hurla. D'un hurlement strident qui résonna dans chacune des salles de classe déjà alertées alentour, qui s'évapora loin au-delà des faibles embrasures de fenêtre, se perdre dans la cour, se faufiler dans la moindre rue de la cité pavillonnée d'utopie, pour finalement plonger dans le trouble nocturne, épais, de l'Avon démaquillé. La porte éclata de ses gonds d'un seul coup, et du seuil débarquèrent une milice entière de sapeurs-pompiers et de forces de l'ordre, les uns munis de multiples brancardiers, les autres armés jusqu'aux dents, les têtes de fusils des girouettes au fur et à mesure que la drôle de troupe se présentait sur l'estrade et entre les rangées ; mais ils ne virent rien de terroristes ou de malades fous à en tuer quelques gosses, ils n'aperçurent rien d'autre qu'une foule de gamins tétanisés, tous lorgnant la même scène auprès de l'un des rideaux affables. Une autre gamine en sanglot, accroupie auprès de sa victime. Aussitôt les infirmiers se précipitèrent au flanc de l'inconscient, prenant son pouls et sa respiration, mais bientôt les gestes se tendirent à l'extrême et les mines se firent de sombre, au souffle arraché. Le garçon n'était plus. La vie jadis insufflée au petit être s'était échappé par les pores brutalement creusés à même ses sinus, et rien du boursouflé ne restait sinon la carcasse amère.
Ce fut le dernier jour de la jeune fille à l'école primaire. Durant toute la durée de son enseignement primaire, elle fut recluse à la maison, choyée par les soins de ses parents et de quelques tuteurs privés soudoyés plus que payés, car qui aurait voulu prendre en main un tel cas après que la nouvelle de sa démence se soit répandue parmi les chaumières ? Elle passait la moitié de son temps enfermé dans le clos de sa chambre, attablé devant ses cahiers griffonnés mélancoliquement ou bien éventré sur le matelas de plumes grinçant au moindre mouvement périlleux, et une autre entourée de six cloisons albes aux allures de geôle de paradis, pourvue d'un seul lit. Et parfois, des hommes, ou des femmes, faisaient irruption dans le jardin immatériel, lui posait des questions, la testaient sur ces aptitudes motrices, intellectuelles, émotionnelles. Et jamais la fillette ne montra signe de défaillance, pas un instant elle ne laissa la corruption en elle prendre le dessus et prouver son mal intrinsèque à ses gardiens. Le mal avait parasité la jeune, à son insu, l'avait remplacé. Dès lors, Gabrielle également n'était plus ; ou plutôt, n'était plus que — le Léviathan siégeant sa glande pinéale portait un titre, celui de Lisa.
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Paperboard mélancolie
ParanormalUne boîte de Pandore aux murs infranchissables, un cercueil de papier sans issue dans ce néant cubique. Un être unique se soulève dans cet espace confiné. Une vie qui découvre le monde, qui s'est perdue pour se retrouver, afin d'en finir avec la vie...