L'étoile à neutrons palpite comme d'un myocarde atteint ; les geysers illuminants la soudaine nuit jaillissent des pôles intangibles et transpercent la ténue écorce cartonnée qui enveloppe autant cieux que terres de son voile basané. Plus que les deux sphères de malheurs tournoyant sur leurs orbites, c'est de ce diamant perfide que Gabrielle ce méfie le plus. Des rayons d'infortune assombrissent les ruines ferrées à quelques côtés de ses pieds, assez pour l'inciter à s'envoler de manière à agréer une distance de sécurité respectable, néanmoins, même la surface parcourue par ses instincts de sauvegarde ne lui permettra aucune invulnérabilité. Le pulsar gire vers l'arrière, les appendices mitrailleurs alignés en direction de la jeune femme. Un faisceau — le condensé de mille galaxies, l'énergie amassée par la fonte des noyaux stellaires que provoque la fournaise baignée d'hydrogène — fuse dans son axe et annihile le moindre des tissus dans son épaule : chair et cartilage se voient bousiller, déstructuré particule atomique après particule atomique, sous l'effet du laser. La blessée glapit de stupeur et en perd même le contrôle de son art aviaire, achoppant jusqu'au sol jonché de débris sablonneux.
Les trois individus présents sur la scène sont chacun atrophiés, encloués au sol par la seule sensation de contrition née des cratères parsemant les corps. Cette bataille est cependant loin d'être terminée, car ni de gagnants, ni de perdants n'ont encore été déterminés. Les sous-fifres de la guerre sont amochés, certes, et brillent d'une étincelle farouche, avide de triompher l'agonie qui les paralyse. Quiconque parvient à se lever le premier remporte l'affrontement : du Veilleur, désirant éliminer les parasites menaçant son écosystème psychédélique, ou bien des deux adolescentes, en quêté éperdue de sens et de vérité sur ce Bristol dépravé de ses biens, de ses propriétés métaphysiques naturelles, de l'ordre de celles qui sont dites normales. Se lever est synonyme de triomphe ; à qui triomphera royalement, à qui récupérera les souvenirs entachés de grivoisantes tavelures, les garces mémoires plus de malédiction que de norme.
Le temps s'émeut : on le voit aux flocons hiémaux dérivant des nébuleuses limpides de nimbus, stellées que de ces perles diaphanes. Les astres ne sont plus, le Veilleur n'étant pas à même d'invoquer les pouvoirs conférés à son égard dans son état, car en effet son thorax pulvérisé suintait d'un thériaque opaque, comparable à un sang boueux, terni par les méfaits. Des naufragés seul Charlie possède toutefois un minuscule reste de conscience, mais dans son état appauvri, démunie de toute motion, elle ne peut que contempler muette les grains enneigés piquetés son visage et fondre sur son derme. Elle aimerait ramper jusqu'à son acolyte ; ses bras ploient sous sa propre masse. Elle souhaiterait l'interpeler à plein poumons ; ceux-ci s'incinèrent d'un gaz pernicieux, bloquant son diaphragme, scellant ses commissures ferme. Son affliction la gêne, pas assez pour la tomber, trop pour l'endormir paisiblement. Elle git là, cadavérique, condamnée au ballet des floches acescentes. Elle ferme les yeux, respire bruyamment. Il n'y a rien qu'elle puisse faire, sinon se donner la mort. Cela valait-il la peine de tout recommencer, encore, encore, à réitérer jusqu'à réussir ? A combien de simulations son démon en peine s'était-il livré jusqu'ici ? A combien d'autres devra-t-elle assister simultanément ? Elle renifle un coup sec. C'était son aptitude ; enfin, à proprement parler, cela ne relevait pas d'une aptitude, plutôt d'un aspect d'elle-même qu'elle mettait à disposition autant qu'elle le pouvait. Elle connaissait la valeur de son existence en ce lieu, comparée à celle de Gabrielle. Elle devait à tout prix la sauver de cette altercation de la réalité. Elle, elle pouvait périr des millions de fois sans se soucier de rien ; après tout, sa mort, réelle, avait déjà eu lieu, et le spectre de son psyché n'existait qu'emmi cette cité obscure. De fait, elle ne pouvait pas mourir au terme exact à l'intérieur de cette simulation, mais la douleur était telle qu'elle en tombait inconsciente un laps indéterminé, parfois plusieurs mois. Chaque fois, elle réapparaissait au même endroit, au même temps, et démarrait sa propre sous-simulante — cependant, celles-ci ne prenaient lieu que dans son for, et n'exerçaient aucun impact sur la réalité alentour. Elle lui permettaient d'interagir avec d'innombrables Veilleurs, de jauger des duels qui évoluaient de leurs différends, afin de mieux évaluer la teneur de la simulation principale. Si elle meurt maintenant dans le but de trouver un moyen de vaincre Été, l'entreprise sera probablement vaine. Gabrielle souffre de féroces entailles, desquelles elle ne se réveillera pas de sitôt, et elle-même demeure incapable d'acrobaties. Elle pousse un soupir long, éreinté. Elle ne voie aucun moyen, aucun remède assurant ne serait-ce qu'un échappatoire aux deux filles. Au fond, elle connaît déjà l'issue de la partie. Ce n'est qu'une question de minutes, voire d'heures, mais il se ravivera le premier. Le Veilleur a déjà gagné.
Au même instant que la pensée prend forme, un fin bruit s'élève, de morceaux rocailleux déblayés rageusement, mais le clapotis s'arrête à ça. Une heure entière coule à flot, avant que la masse dénuée des débris émette un râle rauque, inhumain, un souffle de hêtre raclé, iodé. Elle se couche sur le flanc, à grand force de quintes hoquetées. Une seconde heure advient. Malgré les toux inexorables, elle arrive à mettre un genou à terre, et reste là, coincée dans sa maladie. Puis vient la troisième, et de là, elle propulse son appui, et parvient à se tenir debout.
De là où elle se trouve, affalée sur le ventre, Charlie témoigne de l'atrocité de la féérie qui défloque dans ses iris. Été s'est relevé, avec lui ses satellites virulents. Ce n'est plus un râle qu'éprouve le mannequin dépareillé, c'est un rictus fatal qui emplit l'air de son maléfice. Il lui faut un jour complet à traîner ses phalanges parmi les décombres afin de se tenir devant son adversaire : elle s'est réveillée, mais son organisme entier ard de l'affrontement. Elle est impuissante face au fantoche dépravé. Elle veut retenir ses pleurs de rage, ses larmes de frustration, sans succès. Les silices s'égouttent le long de son menton, les soleils les vaporisent.
Ricannement malitorne d'une futaie carnagée.
« Tu n'étais pas digne, numéro une. Ton mental est faible. Ton corps est faible. Ta vie pue d'une faiblesse sans égale. Il était grand temps d'abandonner la maîtrise de ton squelette. Mais sois sans crainte : nous prendrons grand soin de la vie que tu nous as donnée, Une. »
Le pulsar pivote à force de tonnerre assourdissants. Le canon se charge d'une destruction sans nom : les vents s'écartent face au phénomène tandis que des éclairs violacés trépident d'impatience, débordent de l'étoile. C'est un doux chatoiement, prêt à imploser.
« Adieu, Une. »
Au lieu de pourfendre, l'astre crachote ; les jets pourpres se taisent, les boules planétaires se volatilisent. Un glaive lampyre crève un troisième oculaire sur le faciès béat.
« Automne, que... signifie...
— Changements de plans, vieille branche. Tu causes du tort à toute ta race. Honte et déshonneur sur toi. »
Été choie à terre, inerte.

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Paperboard mélancolie
ParanormalUne boîte de Pandore aux murs infranchissables, un cercueil de papier sans issue dans ce néant cubique. Un être unique se soulève dans cet espace confiné. Une vie qui découvre le monde, qui s'est perdue pour se retrouver, afin d'en finir avec la vie...