Chapitre 4 : Une relance économique nécessaire (époque : 2021)

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          La salle ne doit pas mesurer plus de cinquante mètres carrés. Malgré l'impression d'étouffement et la chaleur d'un mois d'août, des dizaines de personnes sont entassées là, tantôt masquées tantôt dénudées. Entassées, car aucun autre mot ne peut qualifier ce phénomène. Si nous étions face à des animaux non humains, nous pourrions quasiment parler de bétails à l'abattoir. Des politiques, des scientifiques, des journalistes, des journalistes, et des journalistes... les mains tendues, toujours, comme à l'école, pour autoriser la parole.

Pourquoi un tel attroupement ? A la venue d'une nouvelle crise économique mondiale issue de la crise sanitaire, le Vice-Président s'est déplacé avec plusieurs membres gouvernementaux afin de rassurer les concitoyens américains. Ce que beaucoup ignorent, même à ce moment ci, c'est qu'une crise est autant mal vécue chez le politicien que chez le citoyen lambda. C'est ainsi que l'on crée des comités gouvernementaux, interministériels, des projets de recherches, pour des résultats à court terme plus esthétiques qu'intrinsèquement efficaces.

Quiconque connaît les techniques journalistiques sait qu'une éthique est à maintenir durant toute sa carrière. Mais quiconque connaît le milieu politique et les contraintes journalistiques sait qu'il ne faut pas respecter ad vitam æternam ces règles déontologiques, il en va de la survie de sa carrière. Et la carrière, de nos jours, est ce qu'il y a de plus précieux, disent certains.

Les apparences sont trompeuses. Ainsi dans ce bain de foule, d'apparence tout un chacun détient une chance de question, faisant publicité à son journal. Il n'en est rien. Tandis que tous pensent détenir le droit d'une interrogation publique à la suite d'un arrangement, il n'en est rien non plus. Dans ce milieu, c'est le meilleur arrangement qui l'emporte. Il n'y a pas réellement de vainqueurs, au fond, il n'y a que des perdants, et certains plus que d'autres. La seule question qui vaille est une question de temps. « TBT » (le tee-shirt bleu) est le code d'aujourd'hui. Qui doit-on interroger ? Qui en a gagné le droit ? Le tee-shirt bleu avec l'étiquette « TBT » sur le torse.

C'est le code d'aujourd'hui, cela fonctionne ainsi. Hier c'était un autre, demain un autre sera mis au point. Après un discours fort long, d'autant plus avec cette température et ces voix monocordes, ne répétant rien de plus que les classiques économiques mis en place à chaque période de crise (système Ricardo, Smith, relance keynésienne...), le Vice-Président prend la parole. A peine eut-t-il le temps de se présenter qu'une armée de bras, tantôt nus tantôt habillés, se brandit devant lui.

- Monsieur le Vice-Président, monsieur le Vice-Président ! Hurle au loin Robert Farrison.


Fiche historique : Robert Farrison est un journaliste novice mais très prometteur suivant le succès paternel, ancien journaliste de guerre ayant reçu le Pulitzer. Il a compris avec une rapidité fracassante les règles du milieu journalistique. 

Robert Farrison consacra alors tout son temps à l'apprentissage géopolitique, obtenant une mention lors de sa dernière année à l'école de Journalisme de Seattle. A la suite d'un stage de qualité au Times, il fut reconduit comme stagiaire premier emploi (à bas salaire pour charge de travail excessive). Alors qu'il s'attire les regards de jeunes lecteurs, son influence retint les chefs de service. Il est désormais complice de plusieurs chefs et hommes politiques.

Pour obtenir un droit de parole à la conférence d'aujourd'hui, Robert Farrison a donné plusieurs garanties : article élogieux sur le Vice-Président, article sérieux et correctement biaisé sur la conférence, sensibilisation des jeunes à la cause gouvernementale et, bien entendu, aucune question imprévue ou gênante en public... autant de garanties que son père refuserait. Mais pour un fils, vivre dans l'ombre d'un père nécessite quelques pas de côté pour trouver la lumière.

Identité : Robert Farrison

Naissance : 1990 - Décès : 2054

Cause décès : intervention de la famille d'Eli.


- Le jeune homme au fond, avec le tee-shirt bleu, annonce le Vice-Président de sa voix rauque et sereine.

Le politicien est toujours armé de son costume couleur taupe, large et ajusté pour cacher le surpoids. Les cheveux gris clair, les lunettes larges aux contours épais noirs, il transmet une confiance à quiconque l'entend.

- Monsieur le Vice-Président, partagez-vous l'optimisme de la commission gouvernementale ? Quel est l'avis du Président concernant ce plan de relance économique ? Quel message communiquez-vous aux jeunes de ce pays ?

- Cela fait des questions. J'irai à l'essentiel en répondant, si possible, à tout ce qui fut demandé. Vis à vis de la situation américaine actuelle, je juge la relance économique nécessaire.

Il s'interrompt un court moment, prend le temps de balayer du regard l'ensemble de la petite et chaude pièce masquée.

- Je suis de tout cœur avec l'avis du Président, qui se trouve actuellement en Europe concernant des affaires de sécurité mondiale. L'avis de la commission gouvernementale a mon entier soutien. Je me risque même à dire que nous comptons lancer un projet d'une grande ampleur qui révolutionnera l'ère moderne telle que nous la connaissons. Profitons de cette période post-sanitaire pour réviser notre conception du monde. Pour le moment, je ne dirai pas plus que : faites-nous confiance, ayez foi en Dieu et en votre pays.

A ces mots, la salle se tut. La posture du Vice-Président impose toujours l'écoute et le respect. Il fait signe à tous pour les saluer, puis signale la fin de la séance. Les caméras se coupent, les journalistes sortent avec rapidité pour avoir en exclusivité les commentaires des spécialistes venus assister à la conférence. Des débats fusent de tous les côtés, et des supputations naissent concernant le projet miracle annoncé. 

Le Vice-Président, après remerciements distingués échangés avec les membres du gouvernement, part manger accompagné de sa secrétaire, d'un jeune journaliste nommé Robert Farrison, et de son ami habituel le Secrétaire d'état aux affaires intérieures, qui comme toujours, détend l'atmosphère :

- Tu aurais pu dire plus de trois phrases aujourd'hui Arnold, quand même ! Je vais tenter l'excès de poids, cela semble séduire les journalistes ! Dit-il du haut de son mètre quatre-vingt-dix et de ses soixante-dix kilos, qui avec ses longues moustaches lui donnent l'aspect d'une crevette en costume.


Fiche historique : Tout le monde connaît Arnold Al. Buore Jr. Homme politique et homme d'affaires américain de 72 ans, il fut sénateur, membre de la Chambre des représentants, avant d'être le Vice-Président de Brent B. Douglas. Républicain, il croit dans le système et met toute sa hargne dans chaque débat qui remet en question le libéralisme. Mais peu connaissent le parcours d'A.A. Buore Jr. Fils d'un Sénateur, il passe ses diplômes de droit à Harvard et arrête les études pour se battre au Vietnam. Après la guerre, il réussit sciences politiques et se lance dans la politique, chargé du projet « Y3K » (recherches sur les nouvelles énergies). A l'heure actuelle, il est considéré par beaucoup de politologues comme un parfait Vice-Président, actif, et toujours en lutte contre l'inefficacité. Il cultive les apparitions médiatiques, n'hésite pas à s'approprier les stéréotypes tels que la mise en avant de la famille parfaite.

Identité : Arnold Al. Buore Jr

Naissance : 1949 - Décès : 2028

Cause décès : cancer du cerveau.


Aparté II : La postmodernité ou l'art de réduire les têtes

F.G., Psychologue, Chercheur à l'INRS. Parti mouvement anti-libéralisme américain. (80e ère de la famille d'Eli).

L'Histoire du Dr J. Stevens (Partie 1) [vainqueur des WATTYS21... -Edité-]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant