L'Histoire du Dr J. Stevens (Partie 1) [vainqueur des WATTYS21... -Edité-]

Chapitre 20 : Le nucléaire contre Newton (époque : 2021)

Veille de la médiation, 23H.

Il ne saurait dire qui est le chauffeur, ni pourquoi il l'a conduit ici, au bar de l'Alessandro. Il lui est demandé d'attendre son hôte, mais quel hôte ? Le petit homme est habillé d'un jean bleu, d'un tee-shirt « England the rock » et d'une veste en velours noir. Derrière ses lunettes fines, ses yeux bleus respirent l'intelligence. Pour patienter, le barman lui apprend que « Monsieur tient à vous faire goûter la spécialité de l'hôtel, le Kir Alessandro ».

Il préfère ne pas se renseigner sur le nom de cet hôte, il en déduit que c'est inutile. Les événements lui donnent raison, comme souvent avec l'intelligence. Il n'attend pas longtemps avant que l'hôte en question apparaisse. Un grand homme en noir vient du restaurant de l'hôtel. Il prend la parole en tendant la main :

- Monsieur Stanley Hall, vous voir ici me ravit, accueille-t-il en souriant.

- C'est à vous que je le dois, il me semble, répond le petit homme de son accent anglais prononcé, ne prêtant aucune attention à la salutation.

- Certainement, mais vous n'y étiez pas contraint.

- J'aurais pu refuser ?

- Non, cela va de soi. Mais vous auriez pu rapidement me manifester votre désaccord.

- Dans ce cas, je le manifeste. Que fais-je ici ?

- Stanley Hall, interface anglo-saxonne de la désormais célèbre SFEN, la Société francophone de l'énergie nucléaire. A la veille d'une telle négociation, vous savez certainement ce qui vous amène ici, voyons ? Les Français parlent-ils si mal anglais qu'ils ont besoin d'interface de nos jours ?

- Mes collègues français, comme américains, m'ont dit qu'ils avaient reçu des menaces sérieuses. Je suppose que votre société n'est pas impliquée.

- Vous supposez bien, évidemment. Des menaces... Si celles-ci existent, j'en suis navré, j'espère qu'elles ne sont pas trop oppressantes ? A la veille de la médiation, ce serait mal venu. Il fait signe au barman, « deux kirs Alessandro je vous prie ». Une merveille ce kir, n'est-ce pas ?

- Si vous le dîtes.

- Monsieur Hall, je vais être franc avec vous. Je ne vous apprécie pas. Je m'efforce à rester respectueux face à votre accent discourtois, votre allure gauche et vos réflexions non professionnelles.

S. Hall se tait et observe le grand homme.

- Face à mon effort, vous ne faîtes rien pour me retourner ce respect. Je ne prendrai donc pas le temps de converser avec vous, ni d'entretenir ce faux-semblant. Retirez-vous de la procédure. Acceptez que la médiation tourne en la faveur de ceux que je représente. Nous ne laissons rien au hasard, nous ne distillons jamais inutilement nos forces.

Il pose sa carte de visite sur le comptoir. Plutôt qu'un nom, simplement des initiales « J.W. ». Il rabat ses manches et reprend son monologue :

- Vous parlez de menaces, je parle de prévention. Si vous ignorez les signaux, il s'agira d'anticipation sur l'avenir. Prenez ce que vous souhaitez, profitez de notre offre. Transformez-la en une proposition indécente et disparaissez, Monsieur Hall.

Stanley Hall ne touche plus à son cocktail. Ses petits yeux bleus frissonnent.

- Croyez-moi cher Stanley, à chacun de vos pas nous nettoyons vos traces. J'imagine que vos amis vous appellent Stan, les gens comme vous se font toujours appeler d'un ridicule diminutif. Quand ceux que je représente le décideront, nous vous nettoierons également, un diminutif non de votre prénom mais de votre vie. Une entière disparition physique et métaphysique pour reprendre votre jargon.

L'anglais ne dit pas un mot. Il passe la main dans ses cheveux tombant, boit son verre d'un trait et le repose devant lui entre ses mains. A ce moment, l'homme lui retire le verre et conclut :

- Je vous laisse ma carte Monsieur Hall, voyez avec le représentant de la SBC les détails de vos émoluments. L'homme au coin du bar vous raccompagnera chez vous.

Avant de se retirer, l'homme montre le verre vide au serveur et lui dit :

- Servez à Monsieur Hall tout ce qu'il souhaite. John, prenez également ce qui vous fera envie à la fin de votre service. Je suis d'humeur généreuse ce soir.