Chapitre n°6

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Georgie fronça les sourcils, le sourire toujours douloureusement accroché aux lèvres.

- Pardon ?

Matthias était debout devant elle, les bras croisés sur sa poitrine. Georgie regrettait un peu qu'il ait remis une chemise noire, le dessin de ses muscles était beaucoup plus attrayant.

- J'ai dit : arrête de sourire, répéta Matthias de sa voix grave.

- Pourquoi ça ?

- Emily ne souriait jamais.

Ah, oui. Elle avait cru entendre, de loin, quand il avait parlé à Charlotte. Il lui avait dit qu'Emily ne lui avait jamais souri en deux ans de vie presque commune.

Le pauvre, il avait dû en voir de toutes les couleurs.

Pourtant, Georgie ne pouvait pas lui obéir. Si elle cessait de sourire, là maintenant, elle allait fondre en larmes ou casser à nouveau quelque chose. Cet appartement l'oppressait et quand elle s'était retrouvée seule dans le salon à faire un tour sans rien découvrir de suspect, elle avait eu peur que Matthias soit parti.

D'où le vase cassé.

Elle n'arrivait pas à l'admettre mais la vérité était pourtant sous ses yeux : sans Matthias, elle ne survivrait pas suffisamment longtemps pour pouvoir venger sa sœur. C'était pour ça les "je vais te protéger Matthias maintenant que je suis une Madame" et tout le charabia. Non pas parce qu'elle voulait que Matthias venge Charlotte, mais bel et bien pour que Georgie puisse venger Marilyn.

Elle lui avait dit qu'elle l'utiliserait jusqu'au bout.

Elle ne savait juste pas encore où était la limite.

- Je vais essayer, murmura-t-elle en baissant peu à peu ses lèvres douloureuses, ça va comme ça ?

Matthias soupira en la regardant, comme si elle n'y mettait pas assez du sien. Elle ne souriait pourtant plus !

- Je pense que ça va être plus compliqué que ça...

Georgie leva les yeux au ciel.

- Evidemment ! Mais j'ai déjà de la chance d'avoir presque la même couleur d'yeux que Charlotte et que personne n'ait vu son tatouage bizarre.

En une seconde, Matthias s'était retrouvé encore plus près d'elle, l'index proche du visage de la jeune femme.

- Ne prononce pas son nom, souffla-t-il, je te l'interdis.

Voilà qui était prometteur ! C'était la première fois qu'elle voyait des flammes de colère briller dans ses yeux. Sa sœur était son point faible, Georgie le savait depuis qu'ils avaient quitté le OakDeath Club mais là... il dépassait toutes ses espérances.

- Emily, rectifia Georgie en se retenant de rire, c'est mieux comme ça ? Je te rappelle que deux nous deux, c'est avec moi qu'elle a le plus de souvenirs, actuellement.

Leurs souffles étaient si proches qu'ils se mélangèrent un instant. Matthias sembla le remarquer et recula comme s'il avait été brûlé. Georgie plissa les yeux, c'était rarement cet effet là qu'elle faisait aux hommes.

Mais soit.

- Tu as une deuxième leçon à m'enseigner ? Je commence à m'amuser là, ironisa-t-elle.

Matthias ne releva pas et commença à faire les cents pas. Georgie en profita pour remarquer que son jean moulant était en réalité une pièce de costume. Elle était vraiment nulle en vêtements pour homme mais elle savait apprécier un bon fessier quand elle en voyait un.

- Tu ne dois jamais oublier que tu t'appelles Emily dehors. Enfin, tu verras que les Fidèles t'appelleront plutôt Madame. Madame tout court. C'est la marque de respect ultime à l'Organisation. Tu es une Madame avant d'être Emily et tu es une Madame bien avant d'être Georgie.

Elle assimila l'information. Cette secte avait définitivement des codes spéciaux. C'était débile mais si la vengeance de sa sœur rimait avec respect éternel de la part des Fidèles, Georgie s'en contenterait avec joie.

- Emily, ok. Madame, ok.

Georgie ne prêta pas attention à la sensation étrange qu'elle ressenti lorsqu'elle comprit que Matthias était en train de délimiter un "foyer". Le "dehors" de Matthias signifiait qu'il y avait un "dedans", un foyer où les masques pouvaient tomber. Rester soi-même, à nu.

Ici même, donc.

- Et moi, tu dois m'appeler Jacob.

- Jacob, ok.

Il se retourna brusquement et elle leva les mains en l'air en sursautant, qu'avait-elle fait ?

Matthias soupira et sa passa la main sur le visage, ses yeux bleus semblaient éteints, si fatigués. De près, Georgie les avaient pourtant vu briller, un bleu océan, transportant.

- Tu ne parles pratiquement jamais aux Fidèles, continua-t-il en reprenant ses allers retours sur le tapis gris, à part pour les Initiations ou quand les Fidèles demandent des entrevues. La plupart du temps, c'est plutôt par moi qu'ils passent et par moi que tu passes aussi.

Georgie se retint de balancer un "tous des barjots" de peur de faire des cauchemars de cette phrase répétitive.

- Pourquoi Jacob ? Demanda-t-elle brusquement.

Matthias eut la même réaction que la première fois qu'elle l'avait appelé : buste droit, figé, la figure décomposée dans une grimace désagréable. Il n'aimait pas ce prénom. Pourquoi l'avoir utilisé ?

- Je n'ai pas eu forcément le choix, répliqua-t-il entre ses dents.

Georgie laissa échapper un "oh" moqueur, pas le moins du monde impressionnée par cette volonté de mystère autour de son personnage. Au final, elle s'en fichait. Elle connaissait la véritable identité de Jacob et elle continuerait de l'appeler Matthias aussi souvent qu'elle le pourrait.

Au même titre qu'elle espérait qu'il n'utiliserait pas le prénom d'Emily trop souvent.

Georgie ne voulait pas perdre son identité dans cette affaire.

Marilyn ne l'aurait pas voulu.

Matthias était désormais mal à l'aise, colérique. Georgie venait de l'attaquer sur deux points : sa sœur et son identité au sein de l'Organisation. Elle devait noter dans un coin de sa tête que ces deux sujets devaient être évités au maximum. Tant qu'il lui était toujours d'utilité.

- De toute façon, fit-il en cessant de marcher pour la fixer dans les yeux, rien de mieux que la pratique, n'est-ce pas ?

Georgie hocha lentement la tête, sentant sa colonne vertébrale se tendre. Elle s'était attendue à ce que Matthias lui propose d'aller remplir ses fonctions. Toute la nuit, entre deux réveils brutaux, son esprit s'était échauffé à préparer ce qu'elle allait voir aujourd'hui.

- Tu as raison, fit-elle en se levant rapidement, je vais enfiler mes chaussures et c'est parti !

Elle tapa dans ses mains, tremblante de la tête au pied, un grand sourire forcé aux lèvres. Matthias lui lança un léger coup d'œil étonné, puis se rembrunit quand il croisa ses prunelles. Il avait dû voir que Georgie était en réalité morte de trouille.

- Je serai là aujourd'hui, souffla-t-il lentement.

Georgie pivota pour récupérer ses santiags dans la chambre, évitant d'être gênée par cette courte phrase pleine de bons sentiments. Au loin, elle entendit Matthias répéter :

- Aujourd'hui...

OakDeath Club T2 - Georgie [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant