Chapitre n°20

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Georgie n'était jamais allée dans l'appartement d'Emily.

Elle s'en sentait tout bonnement incapable.

C'était peut-être stupide, puisqu'il ne s'agissait que d'un endroit où dormir. Mais le fait de se retrouver seule chez quelqu'un d'autre, quelqu'un d'inconnu... c'était au-dessus de ses forces.

La crise de colère de Matthias ne changeait rien à ses pensées : elle n'obéirait pas à Hash. Si elle voulait se balader et même s'envoyer en l'air avec le premier venu, elle le ferait. Et plutôt deux fois qu'une maintenant que Matthias était au courant pour sa virginité, elle avait encore plus envie de s'en débarrasser comme d'une vieille chaussette. Et puis, tout le monde serait mieux qu'Hash en matière de dépucelage. C'était certain.

En attendant, elle avait demandé à ses gardes de l'emmener au QG de l'Organisation pour travailler. Au début, ils avaient protesté en disant que le Second n'était pas d'accord mais Emily avait fini par claquer le bout de sa langue contre son palais pour que les deux gars armés se plient à ses caprices. Georgie ne pouvait pas dire qu'elle n'appréciait pas ce pouvoir - ça serait mentir - mais elle essayait de se rappeler que ce qu'elle faisait était mal. Pour ne pas se laisser aller à profiter de la situation plus que nécessaire.

Une fois dans son bureau, Georgie avait appelé Marie sur la ligne directe pour lui demander de retenir Jacob s'il décidait de se pointer. Elle ne se justifia pas et ordonna simplement qu'on lui obéisse. Marie raccrocha dans la seconde en bégayant qu'elle ferait de son mieux. Elle se retrouvait donc dans ce grand bureau froid et tellement austère, seule et déboussolée. Elle ne savait pas par où commencer et cette idée de flou devenait de plus en plus angoissante. Sans Matthias, elle trouvait difficilement un cap à suivre.

Avec réticence, elle décida de s'asseoir à son bureau. Quelques dossiers trainaient dessus. Allait-elle avoir le cran de regarder ? Elle trouverait peut-être des photos de cadavres ou bien des clichés compromettant de Fidèles ou futurs Fidèles ? Georgie ferma les yeux, le souffle court. Son masque était étouffant. Elle suffoquait. La crise d'angoisse était là. Elle revoyait Matthias lui hurler dessus, la haine brûlait dans ses yeux. La brutalité dont il avait fait preuve à son départ lui retournait toujours l'estomac. Elle tremblait désormais.

- Calme toi, murmura-t-elle.

Elle ouvrit les yeux et chercha son portable dans son sac. Instinctivement, elle composa le seul numéro qu'elle avait appris par cœur au cours des deux dernières années.

Le répondeur de Karl s'enclencha et Georgie poussa un soupir de soulagement.

- Eh, salut, souffla-t-elle en souriant, je suis contente que tu ne décroches pas sinon ça aurait été certainement une raison suffisante pour que je rentre vous retrouver sans finir la tâche que j'ai à accomplir. Ne t'inquiète pas, Karl, pour l'instant, j'assure comme une grande. J'ai beaucoup appris de toi et du Club, je pense que tu serais fier si tu me voyais me démener comme une tigresse dans ce monde de barjots... J'avais l'impression d'être dans une impasse là, alors je voulais raccrocher les wagons, me focaliser de nouveau sur quelque chose de concret. Merci d'avoir gardé ce numéro de secours, je n'aurai jamais cru avoir à l'utiliser. J'espère que tout le monde va bien. Embrasse Maggy pour moi et dit à Jason d'attendre mon retour avant de se marier avec Charlotte, j'ai envie d'être son témoin ! J'espère que ce vieux pervers de Paul se porte bien, il commence sérieusement à me manquer, lui aussi ! Qui l'eut cru, hein ! Aller... j'y retourne ! Bye !

Elle raccrocha en essuyant une petite larme qui venait de couler sur sa joue. Il fallait reprendre courage. Sourire. C'était ce qu'elle faisait le mieux.

Pendant plus d'une heure, elle éplucha les dossiers qu'elle avait devant elle, sans vraiment comprendre de quoi il s'agissait. Il y avait beaucoup de chiffres et beaucoup de noms de lieux. Georgie avait du mal à faire le lien entre les différents dossiers et les mots présents dans certaines fiches ne semblaient rien vouloir dire. C'était comme décrypter une autre langue.

Soudain, la porte s'ouvrit et elle ne bougea plus. C'était Matthias. Elle avait reconnu son ombre, sa manière d'avancer. Elle avait bien fait de prévenir Marie ! Cent pour cent efficace la petite secrétaire ! Au moins, il avait dû avoir l'avertissement. Il savait qu'il n'était pas le bienvenu ici et que Georgie ne voulait pas le voir. Pourtant, il ne sembla pas se laisser démonter. Il valait mieux qu'elle garde la tête baissée, concentrée sur son dossier, plutôt que de le regarder. Elle aurait trop peur de croiser toute la haine qu'il lui vouait. Elle venait d'appeler Karl pour se donner du courage mais elle ne lui avait pas tout dit. La maltraitance psychique était quelque chose que son chef ne supportait pas. Si elle s'était étendue sur le sujet dans son message vocal, Georgie était certaine que Karl aurait débarqué pour détruire l'Organisation à mains nues.

Quand elle comprit qu'il tentait de s'excuser, Georgie coupa court à la discussion. Les fausses excuses étaient dégueulasses. Elle n'avait pas besoin d'entendre un ramassis de conneries sur les remords. Matthias n'aurait jamais dû réagir de la sorte, quand bien même Georgie aurait dépassé les bornes - ce qu'elle n'avait pas eu l'impression de faire - elle n'avait pas mérité qu'on lui hurle dessus avec force. Elle devait le regarder, lui montrer tout ce qu'elle ressentait pour lui : de la peur, du dégoût.

Leurs regards se croisèrent. Le bleu de ses prunelles vacilla à sa rencontre et il tituba légèrement. Georgie ne se sentait pas bien, elle avait besoin de le savoir loin. Il devait partir. Elle espérait avoir été claire.

Matthias se déplaça ensuite lentement, dans un silence presque morbide, les épaules affaissées. Georgie le suivit du regard et déglutit quand il s'approcha avec un gros dossier dans les mains. Tout son corps voulu partir en arrière, s'éloigner. Un élan d'instinct protecteur, sans doute. Matthias n'avait sûrement rien vu.

La seconde suivante, il quittait le bureau presque en courant.

Aussitôt, Georgie se précipita sur le dossier et l'ouvrit d'un geste sec. La première de couverture donnait le nom de la Madame en poste cette année-là. Si Matthias avait dit vrai, alors elle était en partie responsable des exécutions de l'Organisation. C'était elle qui donnait le feu vert.

Était-ce si simple ? Matthias venait-il de lui donner le nom de la meurtrière de sa sœur ?

En tout cas, cette piste semblait plutôt solide. Georgie nota sur un bout de papier le nom exact et surtout l'adresse de résidence de cette ancienne Madame. Après une courte réflexion, Georgie jugea son attitude stupide : elle n'avait pas a apprécier Matthias. Elle se servait seulement de lui pour venger sa sœur. Elle pouvait lui hurler dessus, elle aussi, puisque cette relation n'est pas vouée à évoluer. Après tout, Matthias se servait également d'elle pour atteindre Jesus.

C'était donnant-donnant. Inutile de faire dans les sentiments.

Elle s'empressa donc d'envoyer un simple message à Matthias, percutant, pour qu'il comprenne qu'elle voulait passer à autre chose :

"Connard."

Elle espérait qu'il la rappelerait dès qu'il en aurait l'occasion.

À peine avait-elle posé son téléphone pour mettre le gros dossier dans son sac que son téléphone vibra :

"Je suis dans la voiture, je t'attends."

Matthias ne perdait pas de temps.

Georgie aimait ça.

OakDeath Club T2 - Georgie [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant