Le petit homme asiatique est dans sa voiture. Il a le visage rond, la moustache courte, et quelques cheveux plaqués en arrière sur son crâne. Akira Doryoma a la chemise crasseuse et le short mal taillé, l'homme vit dans sa Ford fiesta, tant par nécessité de travail que par plaisir. Nul ne peut le voir derrière les vitres teintées. Nul ne peut voir son sniper, ou peut-être les quelques attentifs qui penseraient à observer longuement les vitres d'une voiture garée dans une petite rue sombre.
C'est l'heure et il le sait.
A vingt heure trente en septembre, le soleil rase l'horizon, la vue est trouble pour beaucoup, mais pas pour son arme de précision. La cible est à portée. Encore un petit financier qui s'est mis dans les rouages politiques. Enfin qu'importe, ce n'est pas l'objet du travail que de réfléchir au pourquoi. L'apprentissage porte sur le comment. Et ce comment est sur le point de toucher à sa fin.
Une trace de cocaïne, un shooter de téquila, un tir.
« Je rends allégeance à Hirohito. Allez ma kaiten, fais nous honneur », se dit-il tout bas. Un tir, rien de plus. Il faut rationaliser, penser efficace. C'est ainsi que les grands surpassent les petits dans ce métier. La marque de fabrique des grands ? Pas de trace. Ce qui n'empêche une signature personnelle... une seconde balle entre les jambes. Sa kaiten ne manque pas sa cible, jamais.
Akira Doryoma n'est pas un tueur à gages traditionnel. En cela qu'il tue à la fois pour l'argent et le plaisir. Cette confusion des motivations, entre mobile et fantasme, l'entretient certainement dans une négation de ses penchants violents et pervers. Une négation que ses commanditaires savent mobiliser au besoin.
Après chaque mort, sa mémoire effectue un point. La détonation de l'arme résonne en lui et les images, toujours les mêmes, défilent. Dans la poussière de l'esprit, des images de lui enfant lui reviennent : l'immigration de sa communauté japonaise, puis ses études de journalisme, son engagement dans la marine impériale japonaise... Il se raconte à lui-même : « pfff, cette marine n'est plus d'actualité disent-ils ? S'ils savaient. Quand dis-tu Colonel ? Ne plus être sous l'ordre de l'Empire ne signifie pas mourir. Tu seras dégouté par notre époque et ses discours Colonel. »
Akira Doryoma connait son sujet. La marine impériale dans laquelle il s'engagea connut seulement une mutation en 1947. Le colonel Doryoma, grand-père d'Akira, combattant sur le cuirassé Nagato était présent à ce moment. Il fut membre du service de réorganisation de l'armée en une force d'autodéfense. Cette réorganisation n'était pas volontaire, mais imposée à la suite de la défaite de l'armée impériale durant la Seconde Guerre mondiale. Il fut aussi membre du service caché de la remise en place d'une armée puissante. « Le peuple japonais renonce pour toujours à la guerre » disait la nouvelle Constitution du Japon, ce qu'aimait répéter le grand-père d'Akira Doryoma. Mais les conventions n'engagent que ceux qui y croient.
Akira Doryoma range son arme, un reste de son intégration dans les forces terrestres « Rikujo Butai », par respect des traditions. Pendant ses activités de police militaire dans l'unité spécialisée des « Tokeitai », il fut enlevé pour des renseignements qu'il ne possède pas. Chaque fois qu'il dégaine et range son arme, ces images lui reviennent. Une autre trace de cocaïne aide à ne pas se perdre. Après tortures, le relâchement et la fin de son service, il fuit aux Etats-Unis à l'aide de contacts.
« Merde ! Ça revient ! » s'exclame-t-il face à lui-même. A chaque mort, il sent croitre l'envie de meurtre, tuer en lui ses prisonniers, tuer en lui les chaînes, par quelconque moyen possible, même les délires paranoïaques sont de bons soutiens.
Il repart tranquillement, en voiture. L'allure lente et régulière, il ne faut pas s'enfuir, il faut conduire. Il traverse Seattle, pour retourner dans son garage à dix kilomètres au nord de la ville. Là, il fait quelques courses. Il change la plaque et la couleur de sa voiture. Une heure du matin. C'est le moment de rédiger ses impressions dans son carnet de bord : « Cible éteinte à heure prévue. Réglage de kaiten opérationnelle. Nouveau contrat dans J-6. Allégeance à Hirohito ». Pas plus, pas moins, efficace. Ne noter que l'essentiel.
Un film pornographique de hard bondage sur son petit ordinateur, puis il se couche. Il espère ainsi calmer ses peurs par les appétits sexuels rapides, mais les rêves ne se maitrisent pas.
Fiche historique, basée sur les écrits personnels d'Akira Doryoma : Akira Doryoma a un désir bien précis, qu'il compte mener à bien : exploser. Quelle fin ! Pendant que d'aucuns se meurent sans bruit dans leur maison, que d'autres s'écrasent sur la route, que certains se font tuer sur contrat, lui explosera à la vue de tous ! C'est en public que l'on se doit de partir. Eclater son corps et son âme en morceaux projetés sur le monde. Et si par cet acte, sa mort pouvait être imitée par d'autres, ce n'est pas plus mal. « Mieux vaut ne pas mourir seul. C'est moins triste », explique-t-il.
Être un kamikaze. Un vrai. Pas un de ces extrémiste à l'idéologie quelconque rapportée par autrui et dictée par un autre encore. Un kamikaze, un militaire de l'ancien Empire japonais. Dieu qu'il aurait voulu être membre de ces infanteries, combattant aux côtés de son aïeul. La seconde guerre mondiale, une raison d'exister, une raison de se battre. Effectuer une mission-suicide durant les campagnes du Pacifique, en avion ou en sous-marin peu importe. Tuer des américains, tuer des français, peu importe aussi. Chanter le cérémonial de départ d'une attaque en groupe, rendre allégeance à Hirohito en cœur. Mourir pour quelque chose, à la vue de tous. Mais pour Akira Doryoma, pas besoin de fanatisme, ou de pression sociale. « Je ne suis pas un tokkotai ».
Il aurait accompli les opérations Kikusui volontairement, par respect et pas envie. « Okinawa se serait souvenue de moi. Le monde se souviendra de moi. » Se répète-t-il souvent.
Identité : Akira Doryoma
Naissance : 1977 - Décès : 2022
Cause décès : Intervention de la famille d'Eli (Hart Bietez).
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