Chapitre 15 : Décrypter les informations (époque : 2021)

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Jonathan Stevens se tient sans bouger. Le grand et maigre homme à la chemise mal fermée adopte ainsi un comportement étrange, que tout le monde remarque. Après tout, la démarche autistique reste ce qui le caractérise le mieux. Après un instant, où il fut l'objet de certaines moqueries, il revient à la réalité et converse en direction du commissaire J. Garidon :

- Il y a combien de temps qu'il me réclame ?

Plus antipathique encore que son homologue des forces d'intervention, Joe Garidon le fixe sans intention réelle de répondre. Il vérifie avec lenteur sa montre et répond dans un grognement.

- Ça doit faire une heure. Alors monsieur l'expert, maintenant que vous avez analysé la situation et pris votre café, que faut-il faire ?

- Comment se fait-il que j'aie été averti si tard ? que l'on ne m'ait pas fait connaissance de ce point immédiatement en arrivant ?

Le commissaire paraît perturbé par la remarque. Il ne répond pas. Son visage se ferme, ce qui était donc possible. Il rassemble ses idées afin de ne pas déraper, certainement pour préserver sa fierté.

- Ce matin, quand nous sommes arrivés sur les lieux, il y avait un gars attaché aux pieds de l'immeuble. Une autre lettre, un second message, était sur son front, scotchée. Le premier message donnait l'endroit et l'heure, le second vous réclamait... Le gars est vivant, il est de chez nous, un flic remarquable. Il a été sévèrement torturé.

- Pourquoi ?

- Nul ne le sait, surement pour nous prévenir qu'il ne plaisante pas.

- Et vous avez quand même envoyé une équipe d'intervention ?

- Oui. C'est le conseiller du préfet de police, l'homme en noir derrière moi, qui a insisté pour qu'on suive la demande du taré, c'est-à-dire qu'on vous contacte. Sans son ordre, vous ne seriez toujours pas là.

J. Stevens jette un regard glacial à l'homme distingué qui se tient en retrait parmi les journalistes. L'homme lui sourit, il semble le connaître. Il s'agit bien de l'homme qui a abordé Célia Notae et échangeait avec l'officier, ce que le psycho-criminologue ne peut savoir. Le psychologue lui fait un léger signe de la tête en jetant son mégot au sol et en l'écrasant.

- Qu'est-il arrivé à votre collègue ? Vous avez pu récolter des informations ?

- Il ne parle pas. Il était attaché aux escaliers extérieurs, les mains dans le dos, une inscription cousue sur le crâne au fil de fer, reprend Juan DeSalva.

- Une inscription ? questionne Jonathan Stevens. Son visage se creuse davantage et ses mains passent nerveusement sur ses sourcils.

- « Bill-Andy », puis au stylo : « le couturier, le père des Hommes tisse notre Histoire ».

- Aucun sens.

- Ou peut-être pour un psy ! Surtout... les deux phrases forment une espèce de croix à l'envers. Je n'ai jamais vu un truc comme ça.

- Oui, une croix cousue au fil de fer ! intervient Joe Garidon. Sur mon équipier ! Je peux vous assurer que si je mets la main sur ce taré là-haut, je lui prépare une causerie que même Attila ne supporterait pas ! Une causerie à l'ancienne, je vais me mettre à son niveau.

Il se calme et montre du doigt une tente de secours.

- J'ai demandé qu'on fasse appel à une experte psychiatre pour lui extirper ce qu'il a vu. Mais rien. Vous pouvez toujours voir l'expert, entre dégénérés de Freud vous vous comprendrez bien j'imagine.

- Je ne suis pas freudien, mais j'y vais.

- Il est là-bas, avec les autres résidents de l'immeuble qu'on a fait évacuer. Officier DeSalva, conduisez-le à l'experte. Servez-lui un autre café, il en aura besoin.

L'expert prend volontiers un nouveau café, mais se sent mal. Il suit à distance Juan DeSalva, puis s'écroule et vomit le peu de choses que son estomac est capable de contenir. La nausée sartrienne passée, il refuse l'aide du jeune officier, se relève et allume une cigarette. Il regarde autour de lui, tout le monde l'observe. Ils avancent et parviennent aux services d'urgence. Il aurait été difficile de trouver un endroit plus lugubre aux alentours pour installer un service de secours. Les tentes, ou les éléments qui y ressemblent, ont visiblement été rapidement montées. Celle qui le concerne se situe dans un renfoncement de mur, humide et nauséabond. Mais au moins, on ne sentira pas particulièrement son odeur.

Juan DeSalva récolte d'autres informations auprès des officiers d'intervention situés devant l'immeuble, tandis que J. Stevens redoute ce qu'il va découvrir derrière la tente abritant le policier torturé... de l'horreur ou du plaisir ? goût ou dégoût ? ou bien tout à la fois. Ceci est capital dans l'optique de peaufiner le profil de l'agresseur. Jusqu'où l'agressivité du couturier peut-elle aller ? Quels sont les types de manifestation utilisés ? Quelles sont ses stratégies ?

A l'heure actuelle, il est clair qu'il s'agit d'une personnalité immature, intolérante à la frustration, se protégeant par les actes. Ce qui traduit des difficultés de mentalisation, autres que les pensées agressives. Voilà pourquoi Jonathan Stevens juge le sujet comme moyennement organisé, à la différence du capitaine Canter. Une personnalité en lutte contre une psychose, avec des actes antisociaux impulsifs et des expressions paranoïaques pour affronter la réalité. Ces mécanismes le rendent méfiant, solitaire, craintif, mais aussi calculateur.

J. Stevens observe ses mains qui tremblent.

Il serre les points, respire, entre en fermant les yeux, et les ouvre à l'intérieur.

Dr J. Stevens FACE au NEANT [WATTYS21, 2 Watt'Cheers... -Edité-] (Partie 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant