L'Héritier malgré lui

L'art de l'éloquence

"Oh, Grand Prince ! Veuillez accepter ces quelques Chocogrenouilles volés à des Poufsouffles que je vous offre humblement avec la plus humble humilité..."

Hagrid sourit, satisfait d'avoir un accès presque illimité à ces délicieuses sucreries et prit une grande poignée de Chocogrenouilles, qui couinèrent tout en tentant de s'échapper de sa poigne ferme de demi-géant. L'élève qui portait le panier - un certain Jeremy Frollo, en quatrième année - adressa un rictus victorieux aux Serpentards alentours : comme beaucoup d'autres membres de sa Maison, il s'imaginait qu'en flattant et en servant l'Héritier, il s'attirerait ses bonnes grâces et serait peut-être même anobli au rang de Lord.

Malheureusement pour tous ces rusés courtisans, Hagrid était très mauvais physionomiste et doté d'une mémoire moyennement fonctionnelle : c'était à peine s'il parvenait à retenir le visage de Celeborn Greengrass, le capitaine de l'équipe de Quidditch, avec lequel il était persuadé, pour une raison obscure, de partager un quelconque lien de parenté caché. A chaque fois qu'il apercevait la silhouette au port altier du jeune noble, il se plongeait dans ses pensées, cherchant vainement à trouver un moyen de lui annoncer son "secret" imaginaire.

Quoi  qu'il en soit, Rubeus vivait actuellement sa meilleure vie : depuis plus de trois semaines, il n'avait pratiquement pas bougé de son trône richement décoré et paré des coussins les plus confortables. Il lui arrivait d'ailleurs très souvent d'oublier carrément qu'il se trouvait dans une école, où il était théoriquement censé suivre des cours et apprendre la magie : tout se faisait à sa place - et ce remarquablement brillamment d'ailleurs ! - par le malheureux Tom Jedusor, chargé de cette tâche ingrate. Sur le papier, Boris Hagridov était excellent dans toutes les matières, premier de la classe ex-aequo avec le véritable Héritier de Serpentard.

Cependant, malgré cette vie de rêve, le demi-géant commençait doucement à s'ennuyer de ce confort gratuit : de plus en plus souvent, il songeait à sortir, aller dans le Parc ou dans la Forêt Interdite, retrouver son cher petit Aragog qu'il y avait si précipitamment relâché...

Les Serpentards de sa garde rapprochée - constituée tout naturellement d'Eugène Goyle et d'Alphonse Crabbe, à la carrure parfaite pour ce métier, mais également de Sorento Selwyn en septième année et de Barabas Lee le gaillard sanguinaire de sixième année - étaient assez réticents quant à l'idée de laisser leur Prince sortir : en effet, non seulement cela pouvait s'avérer dangereux pour lui d'une quelconque manière, mais en plus cela signifierait pour eux quatre de devoir l'accompagner et le protéger, ce qu'ils envisageaient avec une certaine appréhension - à part Barabas Lee, qui rêvait d'avoir enfin une excuse valable pour aller écorcher vifs des chatons innocents sous prétexte qu'ils menaceraient la sécurité de leur Chef. Mais ils savaient très bien que, si Hagrid en donnait l'ordre, ils seraient forcés d'obéir.

A présent, Rubeus mâchait une dizaine de Chocogrenouilles d'un coup avec une expression de contentement stupide sur le visage, tandis que Frollo, qui avait volé ces quelques douceurs pour lui, se frottait les mains en songeant aux possibilités de progression sociale qui s'offraient à lui par ce moyen. Une vingtaine de Serpentards, en cinquième et en quatrième années, se trouvaient actuellement dans leur Salle Commune, puisqu'ils n'avaient pas cours à cette heure. Presque tous suivaient religieusement des yeux les moindres faits et gestes de l'Héritier, guettant une occasion de lui apporter un objet ou de venir le flatter.

Pas tous, en réalité : depuis quelques jours, Angua Flint, une fille particulièrement rusée et perspicace de cinquième année, observait Hagrid presque avec une méfiance dissimulée. Elle commençait doucement à douter de lui : depuis qu'il était parmi eux, il ne s'était aucunement distingué, et n'avait quasiment fait que dormir et manger sur son trône. Cette attitude avait fini par lui paraître suspecte...