Tom fait pitié

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Rubeus Hagrid - sous son identité secrète de Boris Hagridov - était devenu le Prince des Serpentards. Littéralement : confortablement installé sur un immense trône (taillé à sa mesure) aux motifs de serpents et, sur sa demande, d'araignées, placé en plein milieu de la Salle Commune des verts et argents, il avait la possibilité de se prélasser toute la journée, le menton appuyé sur son poing, observant passivement les Serpents déambuler sous ses pieds. Ils lui apportaient tout : la nourriture, la boisson, son oreiller et son doudou pour dormir... Il avait même demandé une fois, par ennui, à un troisième année de lui rapporter un scroutt à pétard ; Dieu sait comment le gamin de treize ans avait fait, mais il s'était débrouillé pour accéder à sa demande et était revenu les vêtements déchirés et le visage contusionné mais fier d'avoir accompli sa mission.


Les autres Maisons n'étaient pour le moment au courant de rien, et pour cause : Hagridov, le prétendu correspondant venu de Russie, séchait consciencieusement tous ses cours et ne manquait jamais une occasion pour en rater un. Hagrid trouvait l'apprentissage trop ennuyeux, maintenant qu'il avait la possibilité de pouvoir s'en passer ; les Serpentards, haussant indifféremment les épaules - ils comprenaient parfaitement cette décision, dénotant d'un état d'esprit très sain - avaient donc chargé l'un des leurs, un timide mais intelligent cinquième année dont personne ne se souvenait vraiment du nom de famille, de recopier les cours de leur Prince et de faire ses examens à sa place.

Le cinquième année en question, c'était Tom Jedusor. Et il commençait doucement à en avoir marre de ce quiproquo qui s'éternisait.

"Je suis surchargé de travail, Dorothée ! se plaignait-il une fois à l'abri des regards, dans la Chambre des Secrets.

- Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? sifflait Dorothée, le basilic légendaire, en retour.

- Tu pourrais au moins avoir la décence de compatir ! Je suis tout de même ton maître légitime, contrairement à cet imposteur de demi-géant !

- Mais ordonne-moi de le tuer, ton usurpateur ! s'impatientait le serpent gigantesque. Tu commences à me casser les pieds avec tes jérémiades ! Et n'ose surtout pas me répondre que je n'ai pas de pieds !"

Tom ravala donc sa salive et chercha une autre réponse :

"J'ai pas envie... ça va encore faire plein de sang partout sur mes mains, après Myrthle j'en peux plus de frotter...

- Le regard d'un basilic ne fait pas saigner les victimes, objecta Dorothée.

- Façon de parler, t'as jamais lu Macbeth ? Eh bien, tu devrais..."

Le basilic secoua la tête tout en sifflant de lassitude : son jeune maître l'exaspérait parfois, il perdait constamment pied : il faisait des pieds et des mains mais n'arrivait pas à s'imposer en société et se laissait constamment marcher sur les pieds ! Il y travaillait pourtant d'arrache-pied, son but était d'avoir le monde sorcier sous ses pieds, mais les autres membres de sa maison ne semblaient même pas le prendre sur un pied d'égalité... Elle avait le pouvoir d'envoyer facilement cette brute de Hagrid six pieds sous terre, mais Tom ne semblait pas avoir les pieds sur terre et n'avait pas l'air de vouloir l'envoyer le tuer... ça ne cassait pourtant pas trois pattes à un canard de lui demander !

Et non, elle n'avait aucun complexe par rapport au fait qu'elle était dépourvue de pieds !

ooooo

Biff McLaggen observait le Serpentard affairé avec une douceur et une compréhension infinies dans son regard. Depuis quelques jours, il lui semblait que Tom Jedusor - auquel il avait si malencontreusement fait peur la semaine précédente, il s'en voulait encore pour cela - était surmené : les autres élèves de sa Maison avaient l'air de lui mener la vie dure et venaient régulièrement le voir en fin de journée pour qu'il leur livre une pile de papiers - probablement du travail qu'il faisait à leur place. Son maquillage gothique ne parvenait plus à masquer ses cernes imposantes et de toutes évidences, il était mort de fatigue.

Ils se trouvaient à la bibliothèque. En théorie, McLaggen était venu faire son devoir de métamorphose à rendre pour le lendemain ; en pratique, il surveillait Tom et ses alentours, pour intervenir au cas où quelque chose se produirait.

Biff était fortement sensibilisé aux problématiques touchant le harcèlement scolaire, de par les nombreuses campagnes de sensibilisation menées par ses amis de Poufsouffle sur le sujet. Il était persuadé que Tom en était probablement victime : en effet, son style efféminé peu conventionnel, son attitude traduisant manifestement une forte sociophobie ou encore ses résultats excellents dans toutes les matières pouvaient attiser respectivement le rejet, le mépris et la jalousie de la part d'autres élèves. Biff avait simplement envie de venir en aide à cette pauvre petite chose et qui sait ? se rapprocher de lui ?...

Non, il ne devait pas penser à cela maintenant. De toutes manières, Tom venait de se lever, une pile de livres sous les bras, des grimoires épais et très lourds en apparence.

Des livres lourds... oh... c'était peut-être l'occasion ou jamais !

ooooo

"Oh non, pardon ! Je suis vraiment désolé !"

Biff McLaggen se pencha rapidement et se mit à ramasser les livres qui s'étaient éparpillés sur le sol autour du Serpentard.

"...ça...ça ne fait rien..., murmura Tom en rougissant. C'est bon... je peux le faire..."

Biff lui adressa un grand sourire et fit rouler ses biceps imposants tout en se redressant, une pile de grimoires dans les mains.

"Tout ça m'a l'air un peu trop lourd pour toi, répondit-il d'un ton maternel. Tu ne devrais pas te surmener autant... Oh, il en reste encore un..."

Il se pencha à nouveau vers le sol, vers un livre à la reliure noire qui s'était ouvert en tombant. Il y remarqua un étrange dessin, assez dérangeant, schématisant l'âme d'un individu en train de se fractionner, suivi d'une gravure extrêmement réaliste d'un corps horriblement mutilé. Intrigué, il se rapprocha et son regard tomba encore sur un mot inconnu à la sonorité inquiétante - Horcruxe - mais il n'en vit pas davantage car Tom venait de refermer vivement le livre et de le fourrer dans son sac, soudain pâle comme un linge.

"C'est... un livre de cuisine..., se justifia-t-il d'un ton très peu convaincant. Des recettes de grand-mères... un peu vieillottes pour certaines, je le concède...

- Ah... et c'est quoi un Horcruxe ? le questionna Biff, sceptique.

- Un... un genre de tarte aux myrtilles... en quelques sortes... héhé... rien qui vaille la peine de s'attarder dessus, hein ?..."

Biff interpréta le soudain changement d'attitude de son camarade comme de la gêne. Il adoucit tout de suite son expression faciale et afficha un sourire bienveillant et compréhensif :

"Oh, tu n'as surtout pas à avoir honte d'aimer faire la cuisine, beaucoup d'hommes adorent faire ça !... et ne te méprends pas, je ne dis pas ça parce que d'habitude, c'est plutôt un hobby de femmes, non, au contraire, je trouve que beaucoup d'hommes gagneraient à faire des activités plus féminines... du genre la cuisine, le ménage, la couture... enfin bref, tu m'as compris quoi..."

"C'est quoi cet espèce de macho ?" songea le futur Seigneur des Ténèbres, complètement perdu.

"...enfin... encore désolé d'avoir fait tomber tes livres... tu es sûr que tu ne veux pas que je t'aide à les porter ?...

- Non... merci... ça va..."

Biff soupira en regardant la menue silhouette de Tom s'éloigner de lui à travers les rayons de livres : décidément, il n'arrivait pas à lui faire comprendre qu'il était de son côté !


L'Héritier malgré luiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant