Chapitre 26 : La porte close, seconde intrusion (époque : 1989)

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L'homme surveille le jeune garçon dont le manteau porte une étiquette sur laquelle est inscrit « J.S. ». L'enfant, perplexe, se demande ce que lui veut l'adulte et pourquoi l'a-t-on conduit ici ? La directrice de l'établissement l'y a invité, mais c'était la première fois qu'elle le convoquait.

« Je n'ai pourtant fait aucune bêtise. » s'interroge-t-il.

« Elle a dit qu'il me ferait du bien. » se répond-il dans le même temps.

Nul enfant ne sait qui est l'homme, si bien que le bureau est surnommé la porte close. Demandez à deux enfants interrogés séparément, ils vous donneront tous deux la même réponse : « Tout le monde sait qu'il y a un monstre derrière, un monstre qui se nourrit des enfants pas sages. »

En réalité comme tout adulte le sait, il n'existe aucun monstre. Ni monstre ni fantôme, seulement un adulte au visage ferme et aux épaisses lunettes rectangulaires. L'enfant ne voit pas comment cet homme va « lui faire du bien », comme le prétend la directrice. Le professionnel pour les enfants n'a malheureusement pas une tête utile à son travail.

Il a le visage longiforme, le regard glacial et les cheveux plaqués. Il regarde Jack Sallow avec un léger sourire, le premier sourire qu'il lance à un enfant accompagné, peut-être le premier de sa vie. Il s'éclaircit la voix, puis claque subitement les mains l'une contre l'autre, sans raison apparente. Il se baisse pour regarder l'enfant dans les yeux et se redresse afin de s'asseoir dans son large siège tournant.

D'abord insécurisé, il se rassure en voyant l'adulte s'écarter de lui-même. « On dirait qu'il a la gigote. C'est peut-être un cérémonial. C'est marrant à voir. » se marmonne l'enfant au centre de la pièce. Il s'émerveille d'une attitude qu'il n'avait jamais expérimentée : une voix calme et posée, des émotions aussi sécures que les comportements.

- On m'a parlé de toi. Puisque tu es là aujourd'hui sur orientation de la directrice, j'imagine que je dois t'appeler Jack, n'est-ce pas ? dit-il de manière ferme.

- Oui... je préfère. C'est moi, répond l'enfant. L'adulte reste immobile, à observer, comme satisfait de la réponse.

- Tu ne sais pas qui je suis, ni ce que je fais ici, je présume ?

- Vous vous occupez des enfants.

- Exactement.

Il se relève, réfléchit et fait le tour de la pièce. C'est une chance pour lui que cette pièce soit petite. L'homme attendait cet entretien depuis fort longtemps, il est captivé par cette rencontre, la première entrevue avec « J.S. », le futur couturier, celui qui rencontrera le père des hommes, la célébrité. Il continue de marcher en poursuivant la discussion, comme s'il échangeait avec un adulte.

- Je suis un expert appelé par l'école pour aider certains enfants, Hart Bietez, dit-il d'une voix grave. Au quotidien je travaille avec la police comme criminologue, mais je m'occupe aussi des enfants spéciaux. Je fais de mon mieux pour comprendre les problèmes et pour les surmonter avec eux. A ce que l'on m'a dit, tu en as peut-être...

- Tu n'es pas quelqu'un de bavard, ajoute-t-il après un long silence.

Jack Sallow lui confirme d'un signe de tête. Il ne sourit pas. Il fixe attentivement l'homme, attend et poursuit :

- Je n'aime pas parler.

- Et pourquoi ça ?

- Le plus souvent, ce n'est pas utile. C'est ce que dit père, les gens parlent trop pour ne rien dire. A quoi ça sert de faire des choses inutiles ?

Dr J. Stevens FACE au NEANT [WATTYS21, 2 Watt'Cheers... -Edité-] (Partie 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant