30 | Les blonds aux yeux verts sont des abrutis

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HAYDEN

J- 2

22h50

Villa Mercurio, quartier Trastevere, Rome, Italie

   

J'ignore si ce n'est qu'une impression fugace mais je me sens plus inquiet que jamais. La prétendue délivrance me nargue au fil des jours qui s'égrènent et j'ai peur de ce qu'elle engendrera. Je ne crains pas un problème lors du braquage mais bien le prix que nous réclamerons les Enfers quand nous sortirons victorieux de toute cette histoire. J'ai peur de l'après et j'ai peur que le passé contamine notre après. Un nouvel éclat de rire fuse de la salle à manger, plus loin et je tressaille. J'ai peur parce que je ne l'ai jamais entendue si heureuse.

Je me laisse aller contre une des arches en pierres qui bordent le jardin d'intérieur et tente de me vider la tête. Je me dois de sourire comme eux tous, de paraître serein comme Spinam, exalté comme Alexander, calme comme Cecilia, impatient comme Emilio, prêt comme Caleb mais surtout hypocrite comme Julia. Je lui ai dit que je serais là mais je ne pensais pas que ce serait si dur de tenir ma promesse.

Mon téléphone vibre, les chouettes hululent dans les arbres, une douce musique résonne mais rien ne parvient à me sortir de mes pensées sombres qui bataillent dans mon esprit. Je tire sur mes manches retroussées quand une brise fraîche me fait frissonner. J'abandonne ma cachette et cherche des yeux la porte de la grande salle qui me ramènera près des autres. 

Je marche sur les pierres grossièrement taillées de l'allée, réhabituant mes pupilles à la lumière tamisée qui filtre par le bas des portes de la villa. Je marche dans le silence de la soirée, bercé par le seul bruit de mes pas et de mes inquiétudes. C'est comme si la mort elle-même était venue me faire une piqure de rappel : j'étais fou d'excitation à la simple idée qu'elle se venge enfin ; maintenant je deviens fou à force de ressasser en boucle notre serment. Je n'aurais plus la force nécessaire aujourd'hui pour la laisser m'échapper.

La musique se fait plus forte à chaque pas et l'odeur entêtante des desserts qu'a cuisiné Livio ou son frère m'emplit les narines quand j'atteins enfin la salle à manger dans laquelle Spinam et Emilio ont improvisé une piste de danse. Je m'adosse au chambranle de la porte et l'observe tourner entre les mains d'un autre homme que moi. 

Un flash de nous deux dans le vieux bureau quelques jours plus tôt me frappe de plein fouet : j'aurais tant aimé que le temps se fige alors que je la tenais tout contre moi et que nous riions à en faire pleurer nos cœurs de bonheur. Oui, j'aurais aimé ne jamais la lâcher et l'emprisonner entre mes bras pour l'éternité.

Je ne savais pas qu'elle aimait tant danser. Si elle m'en laissait la possibilité, je pourrais lui promettre de la faire danser dans les plus beaux endroits du monde. Quand je l'ai vu pour la première, c'est nous que j'ai vu. J'aurais dû comprendre plus tôt que ce n'était pas une belle histoire comme celle que l'on raconte dans les contes pour enfants. Nous ne sommes pas fait pour une fin heureuse, c'est évident.

Elle m'aperçoit enfin et son visage s'éclaire. Ses joues rougies par la danse me désorientent un instant mais je perds définitivement le fil de mes pensées à l'instant où je pose les yeux sur ses lèvres mordues. Elle est si belle que c'en est indécent. Je libère mon col trop serré en tirant sur le nœud de ma cravate et rejoint les jumelles assisses entre le sofa et la table en acajou, pour fuir la cause de tous mes tourments. 

Elle ne tarde pourtant pas à me suivre et s'assoit en bout de table alors que je m'exile sur une chaise de l'autre côté, le plus loin possible de son emprise. Son compagnon de danse abandonne ensuite son solo forcé et vient compléter notre réunion improvisée autour des restes du dîner. Je décide d'imiter Caleb et m'enfile un verre de scotch qui me déchire la gorge mais fait taire mes démons au moins le temps d'une seconde.

NÉMÉSIS, LES ROSES DE ROME T.1 | Romantic suspensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant