Chapitre 2

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On dirait que tu as basculé du côté obscur.

– Je crois que j'ai trouvé un boulot, dis-je en refermant mes mains autour de mon gobelet de café frappé.

– Tu crois ?

Je relevai les yeux vers Isabel, incertaine. Elle me dévisagea de ses grands yeux marrons, attendant plus d'explications. Je me pinçai les lèvres, hésitante. Ce n'était pas tant l'accord de confidentialité qui me retenait que le caractère surréaliste de mon entretien.

– Je n'ai pas signé, continuai-je.

– Parce qu'évidemment, tu croules sous les opportunités ? Ou tu as gagné à la loterie ? ironisa ma colocataire.

– Dison que c'est...inhabituel.

– Inhabituel ? Si c'est un job où l'uniforme comporte des oreilles de lapin et des bas résille, prends vite la fuite !

Je haussai un sourcil et Isabel balaya le sujet d'un geste de la main, avant de prendre une gorgée de son café. Je connaissais Isabel depuis quelques mois et, à chaque conversation, je découvrais une de ses aventures improbables et hilarantes. Un jour ou l'autre, je finirais par lui demander de me parler de cette histoire d'oreilles de lapin.

– Je te raconterai, éluda-t-elle.

– Ce n'est pas...il n'y a pas de tenue obligatoire, répondis-je, avant de réaliser que je n'avais pas vraiment posé la question.

– Bien payé ?

– Très bien payé.

– Donc suspect ?

– Très suspect.

– Il va falloir que tu m'en dises plus.

– Je ne peux pas. J'ai signé un accord de confidentialité.

Isabel s'étouffa avec sa boisson – un truc infâme à base de lait de soja, de fruits rouges et d'algues broyées – et fronça des sourcils. Doucement, elle posa son gobelet sur la table qui nous séparait. Après avoir retrouvé son souffle, elle m'interrogea :

– Donc, tu ne peux pas vraiment m'en parler ?

– Juste dans les grandes lignes, j'imagine. C'est un poste d'assistante améliorée.

– Améliorée ?

– Je dois m'assurer que le type pour qui je travaille se réveille à l'heure, mange équilibré et à heures fixes et se rend à ses rendez-vous.

– Ça a l'air dans tes cordes, non ?

– Chez lui, précisai-je. Je dois faire ça de chez lui.

Isabel s'enfonça dans sa banquette, méditant sur ce que je venais de lui dire. L'accord spécifiait que je ne pouvais pas dévoiler le nom de mon employeur, et encore moins ses habitudes ou sa vie privée. J'allais débarquer chez lui, dans son univers, et d'après Margaret – la femme glaciale qui lui servait d'agent, de mère de substitution et qui m'avait reçue – je devais être aussi transparente que possible.

– Votre mission sera parfaitement accomplie, si je n'entends pas parler de vous, avait-elle conclu après m'avoir présenté ce qu'elle attendait de moi.

– Et si ce Travis reste dans le droit chemin ?

– Travis n'a aucune idée de ce qu'est le droit chemin, m'avait-elle répondu.

Dire que j'avais été perturbée par cet entretien était un euphémisme. J'avais eu pléthore d'entretiens « normaux » : devant un employé des ressources humaines, avec mon CV à la main, pendant lesquels je tentais de le convaincre qu'intégrer leur entreprise était le but ultime de ma vie. Invariablement, je mentais, postulant autant au sein de cabinets de gestion de patrimoine que d'associations caritatives.

En désaccordOù les histoires vivent. Découvrez maintenant