Chapitre 5

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Est-ce que vous avez fouillé mon âme ?

Être invitée à un déjeuner par Margaret n'était pas anodin. C'était soit un signe du début de l'apocalypse, soit l'événement annonciateur de mon prochain licenciement.

Voire les deux, si j'étais un peu objective.

Margaret invitait à déjeuner comme les généraux américains font la guerre : elle ordonne, on exécute, et surtout, on ne pose aucune question. Mon père aurait adoré croiser le fer avec elle, elle en avait la stature et l'énergie.

Je songeai brièvement à appeler le centre météo pour suggérer « Margaret » comme nom de la prochaine tornade, prête à ravager le pays sans pitié. J'allais finir en miettes, je le savais. Et Travis n'avait rien fait pour me rassurer.

- Elle t'a invitée à déjeuner ? m'avait-il demandé, manquant de recracher son café matinal.

J'avais hoché la tête, déjà tétanisée par l'enjeu.

- Invitée ? Tu veux dire convoquée ? avait-il repris en fronçant des sourcils.

- Il y a une différence ?

- Pour elle, non. C'est où ?

- Le Providence.

Travis avait simplement sifflé. J'avais déjà jeté un œil sur Internet. Chic, hors de prix et un peu prétentieux. Tout à fait à l'image de Margaret. J'avais à peine les moyens de m'offrir le citron qu'on massacrerait sur les huitres à la carte. Eh oui, j'enviai déjà le destin de ce citron : lui au moins savait à quoi s'en tenir.

- Tu crois qu'elle va me virer ?

- Ellie, tu es là depuis un mois, si Margaret voulait te virer, elle l'aurait fait depuis longtemps.

- J'ai quand même planté deux ou trois trucs...

- C'est vrai, avait-il admis. Peut-être qu'elle va te virer, alors.

- Quoi ? Mais, Travis...

Pour une raison qui m'échappait, j'avais espéré un peu de compassion de sa part. Notre relation s'améliorait, même si, je devais l'admettre, il m'arrivait encore de commettre des erreurs.

- Ellie, tu m'as fait planter un show à Vegas en te trompant dans les réservations d'avion, tu as perdu ton trousseau de clés, me forçant à faire changer toutes les serrures de la maison et tu as déboulé avant-hier en pleine séance d'enregistrement en beuglant dans ton téléphone.

- Je ne savais pas que tu enregistrais, m'étais-je défendue.

- Oui, d'où le panneau rouge lumineux au-dessus de la porte du studio qui dit « en enregistrement », avait-il ironisé. Tu n'es peut-être pas fait pour ce job.

- Donc, je suis à l'origine du problème ?

- Tu es le problème.

Sa réponse me hantait depuis des heures. Le cœur battant et les mains moites, j'avais rejoint le restaurant au volant de ma guimbarde hors d'âge. Si, au départ, j'avais envisagé ce boulot comme une façon polie de dire à mon père que j'étais libre et indépendante, je devais maintenant admettre que j'y avais pris goût. C'était usant, exigeant et souvent pénible, mais travailler avec Travis était une chance.

Je n'eus pas l'occasion de répéter ma stratégie martiale - consistant essentiellement à avouer mes crimes pour vérifier si Margaret avait un cœur - que déjà, le voiturier ouvrait ma portière pour m'inviter à sortir. Je me dirigeai vers l'hôtesse d'accueil, dont le regard bleu iceberg me tira un frisson désagréable.

En désaccordOù les histoires vivent. Découvrez maintenant