Chapitre 36 : Un doigt seulement (époque : 2021)

216 62 6
                                    

Les hommes d'affaires se sont donnés rendez-vous à la gare du nord de Paris à vingt heures. Sur le long quai, les trois hommes se regroupent autour du chauffage extérieur. Cela permet aux hommes de garder un œil sur les larges affichages de départ des trains. Le Thalys pour la Belgique arrive toujours une demi-heure en avance, ce qui permet aux comparses de ne pas subir le vent et le froid d'automne trop longtemps.

Les trois élégants hommes rejoignent le premier wagon. Ils se placent en cercle autour d'une table entourée de quatre places. Le trajet vers Liège dure trois heures et offre un repas aux passagers de première classe. Passé Lille, le train se vide grandement. Les trois hommes voient leur cercle se compléter d'un quatrième membre inconnu de l'équipe, mais fort agréable au demeurant.

Après un moment d'échanges de Lille à Mons avec le nouvel arrivant, les trois individus reprennent leur discussion personnelle.

- Nous ne pouvons retourner chez moi à Newcastle, les lieux sont certainement aussi surveillés que les vôtres. S. Hall demande trois whiskys au serveur et poursuit la conversation : un ami nous accueillera à Fléron, c'est une petite ville de la banlieue de Liège. Nous y serons en sécurité.

- En l'absence d'autres propositions, celle-ci me convient pleinement, reprend E. De Greff dans le but de recolorer la grise mine d'A. Poe. Malheureusement, celui-ci semble bien décidé à ne pas sourire.

- Surtout que nous n'avons pas de filiale commerciale belge, les menaces n'iront pas là-bas, ajoute S. Hall.

- Nous n'avons plus aucune filiale tout court cher Stanley, nous n'avons même plus de Société mère d'ailleurs, conclut A. Poe d'un ton délétère.

- Gardez votre sang-froid maître, s'il vous plait. Nous nous sortirons ensemble de cette situation.

- Non Etienne, nous ne sortirons de rien. Les dernières informations reçues venaient de notre responsable marketing. Il me disait que les dirigeants de nos sociétés étaient portés disparus, que les employés étaient renvoyés, les personnes morales détruites. Le comble, l'information journalistique, reprise des journaux boursiers américains, expliquait que notre crise économique et sociale pousse les responsables aux suicides.

- En effet, ce n'est pas réjouissant.

- Non, ça ne l'est pas. D'autant que des dirigeants... il ne reste que nous.

A.E. Poe perd son calme. Ne sachant comment désamorcer la situation, S. Hall propose une nouvelle tournée de whisky. L'homme à leurs côtés en profite pour commander le même breuvage, mais « un doigt seulement » précise-t-il au serveur. E. De Greff tente maladroitement de rassurer le groupe. Il lève son verre et dit :

- Allez mon ami, profitons au moins de cette soirée. Ne nous accablons pas de tout, qui aurait pu penser que tout tourne ainsi ?

- Je vous avais prévenu les amis qu'il ne fallait pas pactiser avec le Diable en personne, répond A. Poe. Je connais le milieu. Il y a certains accords qu'il ne faut pas pratiquer avec tout le monde, les accords secrets plus que les autres.

- Nous en sommes bien conscients dorénavant. Décidé à ne plus subir les remarques de son collègue, E. De Greff répond sèchement. Il est facile de prêcher la bonne parole quand le Diable a lâché ses démons !

- C'est d'autant plus déplacé lorsqu'on a soi-même gouté le fruit défendu ! complète S. Hall tout aussi médusé par les réactions d'A. Poe.

Un bruit sourd intervient. S. Hall et A. Poe ouvrent leurs yeux qu'ils avaient mécaniquement fermés, comme le ferait tout à chacun face à une situation de peur et de surprise mêlées. Stupéfaits, ils font face au corps inanimé d'E. De Greff. La projection de la balle a enfoncé son corps en arrière dans le siège.

La tête repose en partie sur son épaule gauche et sur la vitre du train. Les yeux sans expression, la bouche ouverte, un trou dans le front, voilà ce que distinguent S. Hall et A. Poe. La fenêtre colore dorénavant de rouge les paysages qui défilent. L'homme qui complète le carré pose devant lui son revolver.

- Messieurs, je trouve amusant que des animaux tels que vous empruntent des métaphores bibliques pour qualifier leurs dernières chevauchées terrestres. Le regard d'Amar De Gama est effrayant, dépourvu d'empathie. Ses yeux froids se posent sur S. Hall : Principalement de la part du plus pécheur des pêcheurs.

- Que veut-il dire Stanley ? demande A. Poe abasourdi. Vous n'avez tout de même osé nous tromper ?

- Sorry Allan, rétorque le blond de son doux accent anglais.

Une nouvelle détonation se fait entendre. A. Poe s'écroule à son tour dans son siège.

- Vous n'étiez pas obligé de faire ça, indique S. Hall à Amar de Gama.

- Tout homme mérite de savoir pourquoi il meurt.

- Vous êtes le célèbre Amérique, je suppose.

- Tout-à-fait, monsieur Hall. On m'a fait part de votre capacité de déduction.

- J'avais cru comprendre que vous étiez discret. Vous ne craignez pas qu'on vous ait entendu ?

- Votre déduction est finalement limitée. S'il n'y a personne dans le wagon, c'est qu'il y a une raison ne pensez-vous pas ? Vous ne connaissez pas les possibilités que le Diable offre à ses démons monsieur Hall.

Stanley Hall sourit, trouvant certainement cette réplique amusante.

- Vous me faites penser à Harley Sox, monsieur Hall, dit Amérique. C'était un professeur de théologie réputé. Un farouche opposant aux mouvements religieux sectaires.

- Si vous le dîtes. Où devons-nous faire halte ? questionne S. Hall, peu intéressé par les dires de son interlocuteur.

- La religion ne vous passionne plus ? Vous avez tort, j'aime converser à propos de mon mouvement.

Les deux hommes nettoient la scène de crime pendant qu'Amérique explique à l'anglais les intérêts de son mouvement religieux et sa mission sur Terre. Ils placent les corps dans de grands sacs plastiques. S. Hall est rassuré en apprenant que d'autres personnes vont les rejoindre, même si ce n'est que pour débarrasser les corps.

Ils installent un large plastique pour recouvrir le sol, la table et les sièges de leur rangée. Amar de Gama poursuit ses explications personnelles. Il finit par dévoiler à l'anglais un tatouage en forme de croix qu'il a dans la paume de la main. Derrière ses fines lunettes, l'homme à l'accent se montre perturbé par les détails donnés.

- Pourquoi me dites-vous ça ? Ces éléments ne sont-ils pas secrets ?

- Mais ils le sont et le restent, les morts ne parlent pas, répond Amar de Gama.

Les yeux bleus de Stanley Hall se remplissent de sang pour se vider sur le grand plastique étendu. Le tueur à gages appelle ses trois collaborateurs qui le rejoignent à l'étape de Liège. Il quitte le train à ce moment, pendant que les hommes se chargent de transporter les corps. La production réalisée, Amérique peut se détendre et citer, réciter, s'imprégner des paroles du Christ.


Aparté XV : La politique est chose compliquée, le crime aussi

F.G., Psychologue et Chercheur à l'Inrs. Parti mouvement anti-libéralisme américain. (80e ère de la famille d'Eli).

Dr J. Stevens FACE au NEANT [WATTYS21, 2 Watt'Cheers... -Edité-] (Partie 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant