Chapitre 9

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Antide est venue me chercher chez Mathéo vers 20h. Je ne lui ai rien raconté de ce qu'il s'était passé. Et je ne compte rien dire, à personne. Je cramponne ma sœur, le vent me raflant de l'intérieur. Mes pensées confrontées les unes aux autres, je me suis enfermée dans ma chambre dès mon retour. Je m'affale sur mon lit, laissant se morfondre à l'intérieur de moi les souvenirs de ces affreux moments. Mon âme est aussi abîmée que mon cœur. Des idées noires s'attardent dans ma tête. Je cours jusqu'à la chambre de ma sœur. Je déboule contre son bureau et sort du troisième tiroir le couteau qu'elle utilise depuis tout ce temps pour salir de sang ses poignets. Mes mains tremblent tant que je n'ose pas approcher le couteau de ma peau. Je le lance à travers la chambre et me rue sur le lit.

Ma sœur arrive quelque minutes après, et me prend dans ses bras sans chercher à comprendre la cause de mon malheur. Malgré le pas qu'elle fait en se collant contre moi, je quitte sa chambre pour retrouver la mienne rapidement. La solitude m'appelle, je reste seule donc. Assise en tailleur sur mon lit, fixant le vide de mes yeux noirs, je sens une vague regroupant énormément d'émotions se heurter contre mon esprit. Je sors un paquet de clopes et en allume une, laissant échapper les vapes de fumée par ma fenêtre que j'ai ouverte malgré les torrents de pluie dehors.

Princesse s'approche de moi, et malgré ma colère j'arrive à l'accepter auprès de moi. Je fume, encore et encore sans me rendre compte que je vide le paquet sans réfléchir.

Alors que ma soirée se passe dans les pleurs et le noir qui me hante, ma sœur toque à ma porte. Elle n'entre pas, passe juste sous ma porte un petit papier arraché d'un carnet. Je m'approche sans un bruit. "Je serai toujours là pour toi." écrit au stylo bleu, de son écriture pas très appliquée, ma sœur me réconforte. Je retourne le papier. Y est inscrit un poème.

"Perdue entre désillusion
Et le vol d'un papillon,
La vie menée n'est qu'un essai,
Et un jour tu le sais,
Ange retrouvera le ciel
Suivie de ses larmes emplies de sel,
Peur d'une mort inconnue
Vouloir saigner ses poignets nus,
Dans une vague de désastre
Trouveras un moyen de rejoindre les astres,
Mais l'heure est écrite,
Ce n'est pas ton heure,
Tu as été petite,
Sèches tes pleurs,
Attends de faner,
Jolie fleur,
Attends de faner."

***

Après avoir fait la bonne action de la soirée, je me rue sur mon téléphone. Ruby m'a envoyé des messages durant les quelques minutes de mon absence. Ses petits émojis tout sage, le sourire angélique sur sa photo de profil. Enchanteresse de mon cœur, elle se fait sentir plus haute que les autres. La lune est grise et tapissée par la pluie. Les étoiles sont toutes perdues dans le ciel immense, hurlant de leur petite voix "sortez moi du noir" mais personne ne peut les aider. Leur pale lueur n'est plus qu'une espérance désormais. Demain soir, sous les ordres de Ruby, je vais passer la soirée chez elle. Je crois que plus le temps se dégrade dehors, plus ma vie se porte bien.

Alors que ma joie est toujours plus voyante, je reçois un message de Ruby, me demandant si elle peut m'appeler. J'accepte sans hésiter en soulignant intérieurement le manque d'émojis sur son message. Lorsque je décroche, sa voix est tremblante, son souffle saccadé. Elle pleure. Je lui demande ce qu'il se passe mais cela la fait pleurer plus encore. Je lui dis simplement que j'arrive au plus vite. Je raccroche, ouvre ma porte brutalement et hurle en descendant les escaliers que je sors. Patrice et Maman n'ont pas le temps de me voir traverser la cuisine que je suis déjà dans le garage, à cheval sur ma bécane qui démarre et quitte les lieux dans un vrombissement assourdissant.

Je surfe sur la route une simple musique dans la tête.

So I'll be needing you

And I know you'll be needing me too

We're in this game together

***

Je relis le poème pour la cinquième fois. Je ne me lasse pas de la débordante vérité qu'à retranscrit Antide à travers un simple bout de papier. Je rougis seule, face à son écriture dépourvue de toute élégance. Bien curieuse de ce que ma sœur a pu écrire d'autre, je me dirige vers sa chambre. Comme dans la mienne, les cartons s'entassent ici et là dans un chantier monumental. J'ouvre quelques tiroirs, tombe sur des choses que je n'aurai jamais voulu voir puis enfin, trouve un carnet gris, recouvert de paillettes noires. J'ouvre le carnet qui est tout de même très épais. Dès la première page, je trouve un beau poème, mais reconnais bien évidement l'ancienne écriture de ma sœur. Ce carnet doit daté du collège, voir plus loin.

Je les lis tous, un par un, laissant pour seule réponse à ces messages emplis de détresse un visage nerveux. Je vois l'évolution des mots, de ses pensées, pour la plupart noires mais, passons. Je lis le dernier poème en un soupir lasse et perturbé.

"Place à des regards nerveux,
Cicatrices vu par ses beaux yeux,
Larme voulant couler
À flot mais se retient,
D'un bain de sang comme laissé
À l'abandon quand on se tient la main,
La mort qui nous appelle est la même
Trouvons la tant que l'on s'aime,
Car mourir à deux est un rêve,
Comme défoncée par une pomme
Tout comme Êve,
Trouvant en l'Homme
Le dégout de souffrir,
Mais l'amour de l'auto souffrance,
Pourquoi y penser avant de venir,
Car nous allons mourir durant notre première danse,
Pas sage de mourir si tôt,
Après tout c'est notre couteau."

***

Alors que je débarque en courant vers la maison de Ruby, sortant du pot de fleurs les clés. J'ouvre la porte d'entrée, haletante. J'allume les lumières, tour à tour, pièce par pièce. Impossible de la trouver. Désespérée, je me dirige vers la cave, dernière pièce non explorée. En ouvrant la porte, j'entends une musique assez bruyante, des lumières faibles. Ça sent la chair humaine à plein nez. Je descends marche par marche. Ruby arrive en courant vers moi et m'attrape au cou.

-Il y a beaucoup de monde, si je t'avais invité tu ne serais pas venue je le sais.

Je déteste la foule, je ne connais presque personne. Elle me tire la main, hypnotisée par son regard, je la suis à travers les gens qui dégagent une chaleur incommensurable. Pour une fois, malgré la foule, je me sens à ma place. Les gens fument, boivent et se sentent pousser des ailes sur les sons dont les boum boum font vibrer les murs. C'est une foule. Pourtant, chacun a l'air seul, dans sa bulle. Tandis que j'observe la soirée en elle-même, Ruby me tend de quoi me vider la tête avec un sourire niais. Elle allume le briquet entre nous, on se penche en même temps vers la flamme pour allumer ce qu'elle tient dans sa bouche. Son regard dans le mien. Même lorsque nos corps s'écartent l'un de l'autre, nos yeux ne se quittent pas. Tandis que la fumée s'accumule dans la pièce souterraine, Ruby me prend par la taille. Elle approche ses lèvres des miennes puis me tire par la main sans m'avoir même embrassé.

En quelque minutes je me retrouve dans son lit, nos corps se frôlent et je la rencontre du bout de mes doigts. Son regard reste dans le mien quelques minutes. Ses lèvres effleurent les miennes, tout en délicatesse. Je suis sur mon petit nuage tandis que la nuit se passe, dans un calme où le seul bruit reste ses murmures et le son étouffé de la musique.

***

La nuit passe sans espérance de ma part. Je dessine, affalée sur mon lit telle une baleine échouée. Inspiration noire, couleur sang et noir sur la feuille. J'entends ma porte s'ouvrir, mais ce ne sont pas les pas de ma mère que j'entends. Mathéo est debout, dans ma chambre. Après m'être assurée que ce n'étais pas une illusion, je me lève de mon lit. Il s'approche, je recule. Princesse grogne même en sentant la peur qui m'envahit tout à coup. Il s'approche trop vite de moi et pose sa main sur ma joue avant de m'embrasser tendrement. Comme à un jeu auquel on ne voudrait pas jouer, je dégage mes lèvres et tourne la tête. Il me tend des fleurs en s'excusant. Je les prends, les sens amèrement puis les pose sur mon lit. Il me tend une boite, le regard brillant. Je le regarde sans assurance et ouvre la boîte. Y loge une bague dorée. Je le regarde. Il achète mes sentiments. Profiteuse intellectuelle, je la prends et l'enfile sans hésiter. Puis, le remerciant d'un câlin qui n'est même pas réel, je souris bêtement.

Il me fait comprendre rapidement qu'il m'invite à passer la soirée avec lui. J'attrape une veste et descends les escaliers à ses côtés. J'ai l'impression de me jeter dans la gueule du loup.

A & AOù les histoires vivent. Découvrez maintenant