1. Prologue

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« Ta mère est réveillée Elsie. Tu peux rentrer, dit l'infirmière d'une voix douce à la petite fille aux grands yeux bleus qui hésite devant la porte.

- Vous êtes sûre, madame ? Je ne vais pas la déranger ? Et si je lui faisais mal ?

- Tu ne lui feras pas mal ma petite. Fais juste attention, d'accord ?

- Je ne suis pas petite ! J'ai eu 8 ans la semaine dernière !

- Non, tu n'es pas petite, c'est vrai. Tu es surtout très courageuse... allez, entre. »

D'un pas mal assuré, Elsie s'introduit dans la chambre d'hôpital où repose sa mère. Elle n'aime pas l'hôpital : l'odeur, les murs trop blancs, les médecins qui courent partout... Mais elle est bien obligée de rester ; pour sa mère. Voilà maintenant deux mois qu'elle est rentrée à l'hôpital, après qu'on lui ait trouvé une maladie. Elsie n'a pas compris tout ce que les médecins disaient, mais elle est sûre d'une chose : sa mère va guérir. Dans les dessins animés qu'elle regarde chez elle, ils disent tous que l'amour et l'espoir peuvent sauver ceux qu'on aime. Et elle aime sa mère plus fort que tout.

Elle se remémore le jour de son anniversaire, où elle lui avait fait la surprise de venir malgré sa fragilité. Elle lui avait offert le plus beau des cadeaux : un éléphant en peluche qu'elle avait appelé Kiwi. Un éléphant magnifique, comme ceux du zoo où la mère d'Elsie l'avait emmenée ; un peu plus petit peut-être.

« Elsie ? 

- Maman ! »

Oubliant les recommandations de l'infirmière, la petite fille se précipite vers le lit de sa mère.

« Comment tu vas ? Tu n'as pas mal ? L'infirmière m'a dit que je n'allais pas te faire mal, mais j'ai peur. Tu sais, j'ai amené Kiwi à l'hôpital ; il n'aime pas l'hôpital lui non plus. Il dit que ça pue, et il veut partir, mais je lui ai dit de rester, pour toi. Et tu sais, on a vu une grosse dame qui avait une piqure dans le bras et elle transportait une grosse poche accrochée à un bâton. Et aussi... »

La femme couchée dans le lit écoute avec une pointe d'amusement sa fille occupée à expliquer tout ce qu'elle a vu dans l'enceinte de l'hôpital en quelques jours.

« Kiwi m'a dit que tu n'allais pas sortir d'ici, qu'il avait peur. Moi aussi j'ai peur, mais tu vas sortir, je le sais. Pas vrai que tu vas sortir ? 

- Ma chérie... l'important c'est que... qu'on reste unis. Une famille soudée. Tu le sais, ma grande, papa et maman t'aiment plus fort que tout.

- Mais tu vas guérir, hein ?

- Oui... mais sache qu'il faut que tu sois forte, très forte.

- C'est promis. Promis juré !

- C'est bien 

- Je t'aime aussi maman. »

La mère et la fille restent enlacées jusqu'à ce que la première s'endorme. Alors Elsie quitte la pièce à pas de loup, la laissant dans ce lit trop petit, entre ces murs trop blancs, avec le tic-tac de l'horloge.

-

« Son état... quelque chose nous a échappé et...

- Nous l'avons envoyé au bloc, nous vous tenons au courant mais... »

Quel est donc ce charabia incessant ? Elsie sort du sommeil dans lequel elle était plongée, là, sur cette chaise en métal, au milieu du couloir. Elle ne saisit que quelques mots : "Madame Emois" et "grave". Grave... ce mot résonne entre les murs. Grave, c'est important, c'est sérieux. Madame Emois, c'est sa mère. Hélène Emois. Mais lier les mots "grave" et "maman" semble déraisonnable pour elle. 

« Ne réveillez pas la petite, attention. Elle ne doit pas savoir... »

La petite, c'est elle, Elsie, même si cela lui fait mal de l'admettre. Savoir quoi ? Est-ce en rapport avec sa mère ? Alors elle n'ouvre pas les yeux, pour leur faire croire qu'elle dort encore. Elle perçoit des lumières qui s'allument au dessus d'elle, mais elle ne bronche pas.

Puis elle entend la voix de son père :

« Elle dort encore. S'il-vous-plaît, dites-moi qu'Hélène va s'en sortir... c'est ma femme, et la mère de ma fille... vous comprenez, comment annoncerais-je à Elsie que sa mère... »

Que sa mère quoi ? Qu'est-ce que tout le monde lui cache enfin ?

Soudain des bruits de pas martèlent le sol.

« Alors ? »

Le mot semble lancé en l'air et retombe dans un silence pesant.

M. Emois reprend la parole, s'impatientant :

« Alors ?

- Votre femme... je suis désolée. »

Des pleurs. Des "nous sommes désolés, nous avons tout fait pour la sauver". Des tapotages d'épaule maladroits. Et à deux pas de là, une fillette fait semblant d'être assoupie.

Elsie a compris, mais elle ne réalise pas encore. Elle se lève, sous les exclamations de surprise des médecins. Elle garde les yeux fermés, sans doute pensant les duper en leur faisant croire qu'elle dort encore ; à tâtons, elle entre dans la chambre de sa mère. Elle n'a pas besoin de venir toucher son lit vide pour comprendre que sa mère n'est plus là. Son aura et son parfum à la lavande ont disparu de la pièce, comme par enchantement. Un enchantement ? Un mauvais sort, surtout.

Elsie sort de la pièce. Les infirmiers et chirurgiens l'entourent, l'enlaçant, la pressant contre eux, en répétant les mêmes phrases, toujours les mêmes phrases. Ces phrases qui ne veulent plus rien dire pour elle. Les larmes perlent au coin de ses yeux clos, mais elles ne coulent pas. Sa mère lui a dit d'être forte avant de partir, alors elle va être forte. 

Mais elle prend une décision à partir de cet instant, une décision bien trop grosse pour ses frêles épaules d'enfant de 8 ans. Si à compter de ce jour le monde ne verra plus sa mère, alors Elsie ne verra plus le monde. A quoi bon voir si elle ne voit plus celle qui compte le plus pour elle ? A quoi bon regarder le monde s'il est sans elle ? Plus jamais elle n'ouvrira les yeux. Plus jamais...

Les yeux closOù les histoires vivent. Découvrez maintenant